Une vie de Chef… au Terminus
Une page s’est tournée pour le Terminus de Chaumont qui a fermé ses portes et sa cuisine dernièrement. Jean Genevois, son Chef emblématique, revient sur l’épopée de cette véritable institution gastronomique du département.
« J’ai toujours voulu être cuisinier », assure Jean Genevois. « J’avais 13 ou 14 ans, le dimanche à Constance (Allemagne), on allait manger au mess. Mon père était militaire de carrière et je ne manquais jamais une occasion d’aller traîner en cuisine », se souvient-il. Peu de temps après, la famille débarque à Chaumont et l’adolescent pousse pour la première fois la porte du Terminus. C’était en septembre 1967. « J’avais été coopté par le procureur Larose. On ne rentrait pas comme ça dans cette maison qui était tenue à l’époque par Prosper Jehlé ».
Le jeune apprenti qui avait choisi un CAP de cuisine (en 3 ans à l’époque) était scolarisé à l’école Voltaire une journée par semaine. Le reste du temps, c’était dans les cuisines du Terminus qu’il le passait « de 8 h à 15 h et de 17 h 30 à 21 h 30 ». Les apprentis étaient soumis à des cadences qu’on qualifierait aujourd’hui d’infernales. Pas pour Jean Genevois. Cet amoureux de la pêche est comme un poisson dans l’eau en cuisine. Celles du Terminus fonctionnent encore avec un authentique piano à charbon. Une bête qu’il faut alimenter à grands coups de pelletées. Le jeune cuisinier en devenir n’a rien oublié de cette époque où les friteuses électriques faisaient tout juste leur apparition.
Cannes, Colombey, Terminus…
Perfectionniste, il multiplie les stages et part un an à Cannes pour apprendre la charcuterie chez Jacques Bouvier, une référence en la matière. En 1972, François Jehlé, qui a succédé à son père, ouvre l’hôtel-restaurant Des Dhuits à Colombey-les-Deux-Eglises. Jean Genevois est embarqué dans l’aventure durant toute une année avant de prendre place dans la brigade du Terminus en qualité de commis puis de second de cuisine. La brigade compte alors une quinzaine de personnes et forme, bon an mal an, jusqu’à quatre apprentis.
En 1981, cet amoureux de la cuisine classique devient LE chef du Terminus. Il enchaîne les stages dans les grandes maisons : chez Alain Senderens, triple étoilé, chez Joël Robuchon, Jacques Maximin, au Martinez à Cannes où il se retrouve un beau matin dans un ascenseur avec Belmondo. « Lui rentrait de bordée, moi je rentrais de mon footing matinal. Il a laissé tomber ses croissants, je lui ai ramassé. Il m’a remercié en se retournant. C’est là que je me suis rendu compte qu’il s’agissait de Bebel », se remémore-t-il.
Les grandes bouffes
Pour Jean Genevois, l’ascension professionnelle s’est faite à force de travail et de rigueur. « Mes jours de congé c’était le lundi et le mercredi. J’étais heureux de ne pas avoir de week-end car quand j’allais à la pêche du côté de Donjeux, j’étais seul au bord de la rivière », se souvient-il.
Du travail, lui et son équipe en ont abattu beaucoup, s’évertuant à allier qualité et quantité. Outre les tables de cette véritable institution chaumontaise qu’a été le Terminus durant plusieurs décennies, il y avait les fêtes et autres foires. Jean Genevois se souvient des banquets dans le parking couvert où se trouve l’actuel cinéma chaumontais. « On avait jusqu’à 1 500 couverts. Les serveurs, ils étaient une bonne centaine, n’avaient qu’à traverser la rue. C’était un ballet incessant… Lors de la fête de la chasse à Châteauvillain, on passait 12 000 saucisses, 10 000 lards, 2 000 poulets. On avait mis au point une cuisine ambulante. A la foire de Brienne, on servait 7 500 choucroutes. Il y avait une douzaine de cuisiniers et une bonne vingtaine de personnel pour assurer le service. La foire de Neufchâteau, c’était vraiment quelque chose ! Tous les habitués du Terminus s’y rendaient », se remémore Jean Genevois.
Le respect des bases
Le week-end, le Terminus assurait la restauration pour les chasseurs. Aux Essarts, à Arc-en-Barrois, on livrait une centaine de repas. Au début, c’était potage et terrine. On est passé ensuite au cassoulet et à des plats plus roboratifs.
Il y a eu aussi l’époque des cours de cuisine dispensés dans l’établissement chaumontais pour les membres du Rotary, entre autres, les sorties truffes… avec toujours cette envie farouche de transmettre une approche noble de la cuisine basée sur des produits frais et souvent du terroir. Une cuisine qui a du goût et qui se fait dans le respect des bases. « Maintenant, souvent, tout est fait à l’avance. C’est la génération du pré mâché. Pourtant rien ne vaut une côte de veau aux champignons avec un bon jus de viande fait maison ou les rognons de veau de papa Clément. Qui lève encore des filets de cabillaud entiers de nos jours ? », s’interroge Jean Genevois, rangé des casseroles depuis une douzaine d’années mais toujours aussi passionné par un métier qui s’est apparenté, durant plusieurs décennies, à un véritable sacerdoce.
A.S
La bonne cuisine du gibier : introuvable !
Edité chez Solar, cet ouvrage cent pour cent haut-marnais est hélas introuvable via les circuits de diffusion classiques. La bonne cuisine du gibier est parue en 1995 avec à la baguette un tandem de passionnés à savoir le Chef du Terminus, Jean Genevois et le regretté Jean Berton, écrivain et auteurs féru de ruralité. Cet ouvrage cultissime était placé sous le haut patronage de François Jehlé, propriétaire des relais de Champagne – dont le Terminus – et grand chasseur devant l’éternel.
« A la base, c’était une idée de Jean Berton qui avait proposé le concept à François Jehlé lequel m’a laissé carte blanche pour élaborer des recettes à base de toutes les gibiers, petits et grands, présents dans nos contrées », se souvient Jean Genevois. Ce livre de cuisine destiné en priorité aux chasseurs et à leurs épouses, avait été réalisé sur plusieurs semaines dans les cuisines de l’Hôtel du parc à Arc-en-Barrois. Nicolas Leseur, le photographe, avait pris un soin tout particulier dans la réalisation des photos, superbes, qui illustrent l’ouvrage. Jean Berton, dans sa préface, tord le cou à quelques idées reçues : le gibier n’est pas plus cher qu’une viande « domestique », le gibier ne fait pas grossir quand il est bien accommodé…
L’ouvrage et les recettes de Jean Genevois ont reçu en leur temps le 1er prix de l’Académie nationale de cuisine. Une belle récompense qui aurait pu faire des petits sans le décès prématuré de Jean Berton. « J’ai toujours dans mes cartons un tome 2 consacré à la cuisine du gibier et un autre sur la cuisine du poisson d’eau douce », précise Jean Genevois. Avis aux auteurs et aux éditeurs…
SUR LE GRIL…
Jean Genevois : gibier, nature et petite reine
Le Chef emblématique du Terminus à Chaumont est plutôt gibier, nature et petite reine. Des ingrédients qui font le sel de sa vie.
Votre plat préféré ?
Une selle d’agneau rôtie avec des pommes de terre nouvelles sautées au lard.
Le produit que vous adorez travailler ?
Le poisson. N’importe lequel.
Votre produit local préféré ?
Le gibier. Un bon steak de biche poêlé.
Votre boisson préférée ?
Un vin blanc d’Alsace pour accompagner un foie gras.
Votre cuisinier préféré ?
Alain Senderens. Je suis allé en stage chez lui. J’avais trente ans. J’aime beaucoup l’approche de Jacques Chibois également. Il fait une cuisine régionale méditerranéenne qui me parle.
Si vous n’aviez pas été cuisinier ?
J’ai toujours voulu être cuisinier.
Votre passion (en dehors de la cuisine) ?
Le vélo.
Pour vous le bonheur c’est quoi ?
Etre dans la nature.
Qu’est-ce qui est indispensable à vos yeux ?
La santé.
Plutôt sucré ou salé ?
Plutôt salé. Le sucre fait trop de mal !
Plutôt Bourgogne ou Bordeaux ?
Un Bourgogne sur une bécasse.
Plutôt Légumes ou viandes ?
Viande. Surtout le gibier.
Recueillis par A.S