Pas de quoi rougir pour les écrevisses haut-marnaises
Le Moulin aux écrevisses est un petit paradis niché à la sortie de Thonnance-lès-Joinville. Bien que voisines du village de Poissons, ce sont bien les “escreveice”, qui tiennent le haut du panier et sont sollicitées par les chefs étoilés de Paris ou de Lyon.
Jérôme Moirot était, dans une autre vie, ferronnier dans le Gard. La fibre agricole le chatouille, il songe à une reconversion dans l’élevage de poulets à chair bio. Investissement mesuré et impact écologique modéré. Inscrit en brevet professionnel responsable d’entreprise agricole, son amour de la terre lui revient en mémoire, mais les pieds dans l’eau : « J’ai songé au plaisir fou que je prenais, gamin, en Ardèche, à la pêche aux écrevisses ». L’idée fait son chemin, et Google file le coup de main. Un vieux moulin aux écrevisses existe en Haute-Marne. Le jeune homme postule au départ pour un stage, mais le propriétaire lui annonce qu’il cesse son activité et souhaite vendre. Jérôme et sa famille font le déplacement, et l’évidence s’impose : ils seront haut-marnais, mais surtout astaciculteurs. Le futur éleveur d’écrevisses, et à pattes rouges s’il vous plaît, suit une formation et, telle une confirmation, la maison du Gard est vendue en une semaine. L’aventure peut commencer.
Naviguer en eaux douces
Il a été nécessaire, dans un premier temps, de relever les manches pour Jérôme Moirot. Sur la dizaine de bassins que compte le site vieillissant, il a fallu en remettre certains en eau, purger les canalisations, colmater les fuites… La Région fournit une aide qui lui permet d’investir dans du matériel. Bientôt, sept bassins sont en condition optimale et trois autres restent à rénover. C’est suffisant pour un début d’activité prometteur. L’eau, pure, est fournie par la source du Ruisseau du Mont, située à 1,5 km en amont. Aux écrevisses, il faut laisser le temps au temps. Pour être aptes à la consommation, les pattes rouges ont besoin de grandir pendant quatre à cinq années. Pour le repeuplement toutefois, elles sont cessibles dès trois mois. Jérôme Moirot compte mêler sa passion à la gastronomie, il fera donc les choses dans les règles de l’art, et, pour laisser le temps à ses protégées de « pousser », ouvrira un gîte. Il est alors en travaux, à l’élevage, et en cuisine.
Chefs, s’il vous plaît
En parallèle se fonde une visite pédagogique, Jérôme Moirot a installé des bassins couverts dans lesquels il propose une découverte de la petite bête à pinces. L’écrevisse se livre, et se découvre malgré la carapace. Elle est nettoyeuse, garante de la biodiversité, participe à la prolifération des algues qui elles-mêmes servent de logis aux animaux et autres insectes… Nocturnes, l’éleveur surveille sa population la nuit, à la lampe torche, grâce à des nasses. Dans le cadre de leur préservation, personne n’est autorisé à s’approcher des bassins. L’écrevisse à pattes rouges est la plus réputée pour la gastronomie, et les eaux de la Haute-Marne lui vont bien au teint. Le Moulin aux écrevisses de Thonnance vend aujourd’hui sa production aux particuliers, pour repeuplement ou consommation, mais aussi aux professionnels de la gastronomie, de Paris, Strasbourg, ou encore Lyon.
Livrée telle une anecdote négligeable, Pierre Gagnaire n’est pas moins que jury de l’émission Top Chef et cumule, en 2024, via l’ensemble de ses établissements, pas moins de treize étoiles au Guide Michelin.
Au sein de son gîte, l’astaciculteur vous accueille à table. En misant sur les saisons, son potager, et les producteurs locaux, Jérôme Moirot propose une cuisine maison, et à base de pattes rouges naturellement. « Dans l’écrevisse, pas beaucoup de chair, qui est très fine, mais beaucoup de parfum ». L’éleveur, passionné de cuisine, propose à sa table un poulet en marmite, à base d’écrevisses évidemment, mais aussi de chorizo, de champignons, de miel, d’épices et mile du jardin. Également, tartelettes au langres et au cumin, ou encore endives pesto ail des ours et noix haut-marnaises. Les pizzas maison à l’écrevisse cartonnent et arrive bientôt la “pasta”, produite sur place. Les menus s’adaptent aux saisons, au jardin, à l’inspiration, et la table, hors gîte, est privatisable et réservable à partir de huit convives. Un festin d’écrevisses au coin du feu, dans un cadre idyllique… Ne pas en rougir mais montrer patte blanche, par contre.
Elise Sylvestre