Alice au pays des merveilles culinaires
Parcours hors normes que celui d’Alice Bikoyi. Du Congo à Nogent en passant par Paname, la jeune femme qui ne rêvait pas de devenir cuisinière comme sa mère, lui a pourtant emboîté le pas à la faveur de rencontres avec quelques Chefs dont Alain Passard.
Elle vient de loin Alice. Son goût pour la cuisine est plus métropolitain. A la base, Alice Bikoyi ne se destinait pas à devenir cuisinière comme Julienne, sa mère, qui officiait à Brazzaville au Congo. « J’ai grandi dans la cocotte mais je n’aimais pas la cuisine », se souvient-elle. Julienne travaille sans relâche dans son restaurant sur un gros marché de la capitale du Congo. Alice a besoin d’argent de poche et se décide à aider sa maman en cuisine.
« Elle m’a appris à préparer le riz à l’africaine. Cette fois-là, elle m’a donné tout le bénéfice de la vente. J’étais très contente », se remémore Alice qui, malgré tout, ne poursuit pas dans cette voie. Ce qui la motive alors, c’est de travailler dans une banque : « c’est là qu’il y a beaucoup d’argent ! Bon, j’ai raté mes études et j’ai alors appris la coiffure pour faire plaisir à mon frère. Mon père a mis une pièce de la maison à ma disposition pour que je puisse en faire mon commerce. Tout allait bien et puis la guerre en 1997 a tout chamboulé ».
Alice, qui n’a pas les deux pieds dans le même sabot, reprend une formation quand la situation du pays se stabilise et trouve un local dans le quartier de La Poudrière vers l’aéroport de Brazzaville. L’argent y coule à flots et sa petite entreprise ne connaît pas la crise. La jeune femme prend alors le pari audacieux de s’installer dans le quartier populaire d’Ouenze mais le succès n’est pas au rendez-vous. Dépitée et marquée par le décès de son père, elle décide de rejoindre un de ses frères à Grigny en Région Parisienne. « Au début, je n’ai pas aimé. Quand nos aînés revenaient au pays, ils ne nous parlaient pas de la France telle que je l’ai vue », assure-t-elle.
Le temps des galères
À Paris, Alice vit de petits boulots. Elle est coiffeuse au black dans un salon pour dames, garde des personnes âgées, fait des ménages… Elle décroche une place dans une maison pour personnes handicapées et travaille à la lingerie et en cuisine. Pas du côté des fourneaux. C’est venu plus tard, mais Alice n’apprenait rien dans cet environnement de restauration collective.
Elle change de maison, travaille au froid (les entrées) puis décroche un CDI dans une maison de retraite du XVIe arrondissement. « Au froid toujours, avec un chef qui était au chaud. Ça ne s’est pas bien passé », reconnaît-elle. Les expériences, plus ou moins longues, se succède mais la passion n’est pas au rendez-vous.
Et pour cause. Son truc à Alice, c’est le haut de gamme. Quand elle rentre du travail, elle passe des heures à regarder des vidéos de grands chefs sur YouTube. Pôle Emploi lui suggère alors de faire un stage dans un restaurant. Elle va toquer chez Alain Passard. Le chef triple étoilé est installé dans le VIIe arrondissement. Il l’accueille à bord de L’Arpège les bras ouverts.
« Il y avait une ambiance propre aux restaurants étoilés. Ça m’a tout de suite plu. Dans ce type d’établissement, tu emportes ta gamelle pour manger. Un jour, au tout début, j’avais préparé un vol-au-vent à base de blanc de poulet et de petits pois avec de la crème, des échalotes et des herbes, le tout légèrement gratiné. Tony, le chef de partie, a trouvé que c’était bien présenté et en plus que c’était très bon. Je me suis dit que j’avais ma place ici », se remémore Alice.
À l’issue de son stage, la jeune femme passe son CAP puis son BAC pro cuisine avec succès. Alice a trouvé sa voie avec la ferme intention de devenir, à nouveau, sa propre patronne mais cette fois dans le domaine de la restauration qu’elle qualifie volontiers de semi-gastronomique. « J’ai vraiment appris en suivant les grands chefs : Paul Bocuse, George Blanc, Marc Veyrat et bien sûr Alain Passard, mon mentor. Toutes les techniques, je les ai apprises en les regardant faire », assure-t-elle.
En mode guerrière
La cuisine d’Alice mélange ses racines africaines et le côté inventif de la gastronomie française. « Les deux sont très différentes. La cuisine africaine, on l’apprend auprès de nos mamans et on la reproduit. La cuisine française, pour moi, est faite de tradition et d’innovation. Si on prend l’exemple d’un bœuf bourguignon, traditionnellement on coupe des petits morceaux. Moi, je coupe un beau morceau et je soigne la présentation », souligne-t-elle.
Ses créations ont très vite fait le buzz sur les réseaux sociaux et de façon très inattendue. Alors qu’elle vit à Paris, dans le quartier de Château Rouge où le choix en produits importés d’Afrique est gargantuesque, Alice poste des photos de ses plateaux de fruits sur sa page Facebook. Les commentaires sont nombreux et élogieux et ses bocaux et salades de fruits s’envolent vers la Belgique, l’Italie, l’Angleterre et même les États-Unis. BA Gastronomie naît alors. Après bien des péripéties, le service traiteur s’installera quelques années plus tard à Nogent, loin de ses compatriotes mais au plus près de la campagne haut-marnaise qu’elle aime tant et qu’elle a découvert en rendant visite à la mère de son compagnon.
« Je ne suis pas déçue. J’aime bien Nogent. Je me suis dit qu’ici c’était chez moi », souligne Alice. Le service traiteur fonctionne bien avec un espace intérieur et extérieur qui permet de dresser quelques tables pour y manger sur le pouce. On trouve, bien sûr, des produits africains mais aussi des mets locaux comme le miel de Mandres-la-Côte et les amateurs de bons vins – la passion de son compagnon – y trouvent aussi leur bonheur.
La petite boutique de la rue du Maréchal Leclerc cache aussi un grand projet dans son arrière-cour : Alice souhaite ouvrir son propre restaurant dans une dépendance qui était jadis occupée par un atelier de coutelier. Les travaux ont débuté et le projet pourrait se concrétiser dans les prochains mois. « Je veux faire une cuisine inventive, métissée et surtout accessible à tous », s’enthousiasme Alice.
En mode guerrière, la cuisinière qui se rêvait banquière est bien décidée à relever ce nouveau défi au pays des couteliers.
A. S.