Anne Garabedian, primée meilleure auteure culinaire au monde et Haut-Marnaise
Portrait. C’est à Riyad, en Arabie saoudite, qu’Anne Garabedian s’est vu remettre le prix international du Best Chef Book in the World 2023*. Autrement dit, le meilleur livre gastronomique au monde est non seulement français (205 pays en lice), mais surtout, sorti de la tête et du cœur d’une Haut-Marnaise de Bourbonne-les-Bains.
Anne Garabedian est liée par sa mère à la Haute-Marne depuis trois siècles. La maison de Bourbonne-les-Bains, territoire de son enfance, est encore et toujours le lieu de réunion familiale, héritage acquis aux alentours de 1850 et précieusement entretenu pour les enfants, et ainsi de suite. Anne Garabedian est descendante d’Athanase Renard, médecin dès 1825, et député de la Haute-Marne de 1837 à 1843. Ce dernier possédait le château de Montmorency, à Bourbonne. Construit en 1720, il a servi de villégiature aux enfants des rois de France, mais fut rasé le jour où son classement comme monument historique devait être publié… La Villa de Montmorency, elle, conservée par la famille, deviendra plus tard Institut médico-éducatif.
Grand-père pâtissier.
Mais Anne Garabedian a choisi de parler gastronomie, plus particulièrement des chefs, et pas d’Histoire. Malgré de solides racines, elle naît à Marseille : « la garrigue ne vaut pas l’odeur des girolles, que je devine inscrite dans mes gènes, mais j’aime la Provence. »
Et puis la famille était gourmande, disons-le. Le plaisir de la table. Anne Garabedian entame une formation de journaliste et rencontre celui qui deviendra son époux et binôme, Jean-Philippe. C’est naturellement qu’elle s’oriente vers le journalisme culinaire : « Tirer le fil de la gastronomie, c’est découvrir l’ensemble des territoires. La cuisine, c’est de l’Histoire, du patrimoine, une transmission orale. C’est la terre, l’agriculture, le commerce : tout un territoire qui se soude », détaille Anne Garabédian. La journaliste travaille alors pour le guide du Gault&Millau, Le Botin gourmand ou encore le magazine L’Express. Puis fait dix ans de radio, durant lesquels elle s’emploie à mettre en valeur les chefs et les producteurs locaux. Avec son mari, la passion pour la gastronomie est partagée, si bien qu’ils s’offrent mutuellement et avec assiduité, des cours de cuisine. Jean-Philippe Garabedian a une autre passion : la photographie, et multiplie les clichés, notamment au sein des cours dispensés par le chef étoilé Eric Sapet, chef à La Petite maison de Cucuron. De la complicité du couple naîtra un premier livre en 2010 : Anne écrit et Jean-Philippe illustre.
Création de la revue Le Cœur des chefs
Les portes des établissements les plus emblématiques leur sont désormais toutes ouvertes, et la “matière” s’accumule pour Anne et Jean-Philippe Garabedian. « C’est le chef Arnaud Donckele, trois étoiles au Michelin et chef notamment au restaurant Cheval Blanc, à Paris et Saint-Tropez, qui nous a motivés à faire notre journal. On vivait tous ensemble trop de trucs ! Fallait bien en faire quelque chose », se souvient Anne Garbedian. Le pari est un peu fou, créer une revue alors que la presse écrite est en crise. « C’était finalement pour nous le seul moyen d’être libres, ne pas être frustrés par des formats imposés.» La revue bimestrielle Le Cœur des chefs est née en 2017, et inonde aujourd’hui les meilleures tables de France. La revue, distribuée uniquement par abonnement, ne se trouve pas en kiosques, 80 % des lecteurs sont des pros de la haute gastronomie, le reste, des épicuriens qui fréquentent ces tables.
Dans la tête d’un certain Glenn et renommée mondiale
En 2015, Anne Garabedian rencontre, à l’occasion d’un reportage, le chef trois étoiles Glenn Viel. Il exerce alors au restaurant L’Oustau de Baumanière, aux Baux-de-Provence. « On y allait régulièrement avec Jean-Philippe. Après huit années de partage, de confidences, de complicité et d’écoute totale, c’est Glenn Viel lui-même qui a suggéré le livre. » De là est né un ovni littéraire et gastronomique : « Ce n’est pas un livre grand public au premier abord, d’ailleurs il est passé quasi inaperçu dans la presse nationale. Ce n’est pas un livre où la ménagère piochera une recette de cake. On s’est employé à transcrire la réflexion créative d’un chef qui a une idée toutes les dix secondes. » Le résultat est stupéfiant d’esthétisme et d’humanité, la gastronomie élevée au rang d’art premier. “Dans la tête de Glenn Viel” décrochera en 2023 le prestigieux prix Best Chef Book in the World, soit le meilleur ouvrage gastronomique au monde. Le couple auteur/photographe au sommet, après des années d’écoute et de passion.
Haute-Marne, girolles et langres au lait cru
Anne Garabedian vient régulièrement en Haute-Marne rejoindre le cocon familial de Bourbonne-les-Bains. « Quand je rentre au bercail, ma routine est immuable, telle un pèlerinage : le beurre de Marcoux à Andilly-en-Bassigny, la faisselle et le langres lait cru de la fromagerie Remillet, à Gennevrières. Indispensable aussi, l’emmental et la crème de la maison Schertenleib à Saulxures, et la farine de la ferme Meuret à Poinson-lès-Fayl. » De sa demeure provençale aussi bien que des origines arméniennes de son mari, Anne Garabedian tire une cuisine métissée à base d’ail, pesto et autres feuilles de vigne. « Mais, au risque de me faire taper sur les doigts, partout j’ajoute une cuillère de crème fraîche qui me rappelle le lait frais de la Haute-Marne. » Anne Garbedian porte en elle les paysages et les odeurs de nos campagnes, conserve la nostalgie des tapis de girolles fraîches et le goût du gâteau Bourbonnais. De tables prestigieuses en producteurs de renom, Anne Garabedian promène son territoire tout en révélant au monde les meilleurs savoir-faire d’autant d’ailleurs.
Elise Sylvestre