Olivier Beurné, chef étoilé : « Les Haut-Marnais devraient être plus fiers de leur territoire »
Olivier Beurné est originaire d’Humberville, non loin de Saint-Blin et Manois. A 53 ans, il est le chef étoilé de l’Amphitryon, à Lorient. Il est ancré sur son territoire d’adoption, la Bretagne, et se souvient avec délice et émotion de « sa » Haute-Marne qui lui a tant donné. Rencontre avec un homme de passions et passionnant.
JHM : Est-ce que le petit village d’Humberville et vos origines paysannes, en Haute-Marne, sont pour beaucoup dans votre vocation de cuisinier ?
Olivier Beurné : Je leur dois ce que je suis aujourd’hui. Je viens du monde paysan et je le revendique. J’ai été éduqué dans une ferme avec ses valeurs dont celle du travail et des bons produits transformés sur place. Ma mère qui est toujours de ce monde était une excellente cuisinière. Je sens encore les effluves du poulet rôti au four ou du lapin à la cocotte. Ce sont les bases de mes origines de cuisinier.
JHM Quels souvenirs gardez-vous de la vie à la ferme ?
O. B. : J’étais en permanence sur les tracteurs, à faire les foins ou au cul des vaches. Mais, ce qui reste le plus présent en moi est le rapport à la nature. Elle était omniprésente. Je passais mon temps à la pêche, à la chasse ou à des cueillettes de champignons. Nous tirions le meilleur de la nature et je connaissais le moindre trou dans la Manoise, pour aller chercher des truites. C’était des moments merveilleux.
JHM : Et tout naturellement, vous êtes partis à l’école hôtelière de Langres.
O. B. : Ma vocation de cuisinier s’y est révélée. J’ai eu l’impression d’être né pour ça. J’ai tout de suite adhéré à la rigueur du métier, à ses codes. Cette école était extrêmement réputée et cette passion ne m’a plus jamais quitté. Le week-end, je faisais des extras avec les professeurs. J’étais totalement mordu. La fibre était en moi. J’ai payé de ma personne. Je me suis donné à fond mais ma vocation est tout sauf un hasard.
JHM : Vous en êtes sorti en 1986 et vous décidez de continuer à vous former d’une manière originale…
O. B. : Je suis parti faire un tour de France de grandes maisons étoilées. L’idée était aussi de sortir du cocon familial. J’avais besoin de liberté et j’étais en quête de savoir. Je suis parti avec mon sac à dos et j’ai rejoint Nice. Cela m’a amené chez Marc Meneau, étoilé au Michelin, chez Lasserre à Paris puis chez Pierre Gagnaire, à Paris aussi. Cet apprentissage a duré 15 ans !
JHM : Pourquoi ce besoin de savoir ?
O. B. : Un besoin insatiable. Je voulais tout apprendre, toutes les techniques et connaître le meilleur de partout. Par exemple, j’ai appris à confectionner un fumet de poisson de dix manières différentes et j’en ai fait la synthèse. Je voulais apprendre par le geste, faire partie de ce monde où la transmission est forte.
Ensuite, je suis revenu en Haute-Marne pour accompagner mon père qui était malade. J’ai rejoint le Soleil d’Or, à Joinville pour ensuite repartir à l’étranger, en Suisse, au Luxembourg, en Belgique.
JHM : Qu’est-ce qui vous a rapproché de la Bretagne ?
O. B. : Je suis passé par un étoilé en Bourgogne et n’ai pas résisté à l’offre de devenir chef au Château de Locguénolé, à Kervignac, dans le Morbihan. C’est un Relais & Châteaux et l’une des premières maisons de Bretagne doublement étoilées au Michelin. J’y suis resté 15 ans. La Bretagne est ma région de cœur. En y posant les pieds, j’ai senti que ces terres celtes me correspondaient. Je ne les ai plus quittées.
JHM : Un peu comme la Haute-Marne ? D’ailleurs, est-elle bien défendue, cette Haute-Marne ?
O. B. : La comparaison est tout à fait possible. Ce sont deux territoires ancrés de la même manière, avec une identité forte mais les Haut-Marnais devraient, comme les Bretons, en être plus fiers. Ils devraient le revendiquer davantage et même d’un point de vue économique afin de lutter contre la désertification. Ce terroir haut-marnais mérite d’être valorisé.
La Haute-Marne a été mon éveil, mon réveil.
JHM : Tout va ensuite très vite et vous décrochez une étoile.
O. B. : En 2016, Jean-Paul Abadie me propose de racheter l’Amphitryon, à Lorient, et je le reprends en 2017 avec Anthony Rauld. Je n’aurais pas envisagé de le faire sans lui. C’est un sommelier de renom qui travaillait au restaurant depuis 12 ans. Il est le directeur de salle.
Aussitôt, en novembre 2017, comme il se doit à chaque changement de propriétaire d’un restaurant, nous sommes montés à Paris rendre les deux étoiles Michelin. Six semaines après, nous redécrochions une étoile.
JHM : Racontez-nous votre cuisine…
O. B. : Elle était ultra locale et, avec la crise sanitaire, les confinements et les fermetures et réouvertures des restaurants, elle l’est encore davantage. Cette crise a changé ma philosophie culinaire. Au restaurant, nous ne proposons plus de menus, plus de cartes. Nous demandons simplement quelles sont les allergies de chacun des convives. Ils choisissent une grille tarifaire qui correspond au nombre de services. Ensuite, tout se met en route en cuisine. J’y réalise, avec la brigade, des plats sur mesure en fonction des produits apportés le matin-même par les agriculteurs, éleveurs, maraîchers et pêcheurs. Les clients sont très demandeurs de cette formule et elle pourrait parfaitement correspondre à la Haute-Marne.
JHM : C’est votre manière de soutenir le monde agricole ?
O. B. : Notre façon de consommer, à tous, doit venir soutenir le monde agricole. Actuellement, les paysans meurent la bouche ouverte. Mon combat est d’être à leurs côtés, de les regarder, de leur parler et donc de consommer localement même si les produits sont un peu plus chers. Il en va de l’avenir de notre terre nourricière. C’est aussi lui rendre hommage, à cette terre. Faisons vivre notre ADN. Notre devoir civique est de faire survivre notre agriculture et nos pêcheurs.
JHM : Et comme vous êtes un homme de projets, vous en avez déjà un autre en tête ?
O. B. : Plus que ça. Avec mes enfants, mon fils pâtissier étoilé et ma fille cuisinière à qui j’ai transmis ma passion et mon plaisir, nous ouvrons dès juin 2022 un hôtel restaurant appelé « La Marine » sur l’île de Groix ; cette île de 2 500 habitants l’hiver et de 25 000 durant la belle saison.
Il y a 18 mois, nous avons repris un site emblématique. Nous avons tout fait rénover pour en faire un site avec hôtellerie, spa et remise en forme. Pour la restauration, nous faisons le pari de la bistronomie insulaire. L’idée est que cette affaire familiale soit conviviale et que chacun se sente bien.
JHM : Quel regard avez-vous sur l’enfant que vous étiez ?
O. B. : Celui qui a modestement réussi aujourd’hui n’est personne d’autre que l’enfant d’hier. La Haute-Marne a été mon éveil, mon réveil même si, aujourd’hui, j’y retourne rarement. La cassure a été la perte de mon papa mais je garderai éternellement mes souvenirs. Je me souviens de mon émerveillement face aux paysages, les flancs de coteaux, les forêts… Elle m’a donné la vie et a fait celui que je suis aujourd’hui.
Propos recueillis par Frédéric Thévenin