« Yannick », un huis-clos grinçant… tout en tendresse
En une heure à peine, le dernier film de Quentin Dupieux secoue, mélange les codes et fait l’effet d’une claque. Sorti en salles le 2 août, il mérite le détour (surtout si vous vous appelez Yannick).
Croisez Yannick dans la rue, et vous ne le remarquerez pas. Soit dit en passant, la probabilité est faible. Yannick habite Melun -ville-dortoir située à une heure de Paris- et travaille de nuit. Pourtant, quand il se lève pour interrompre « Cocu », le mauvais vaut-de-ville qu’il est allé voir, sa normalité s’impose. Pire, elle dérange : « Bonsoir déjà. Je m’appelle Yannick ».
Mélange des genres
Par cette simple phrase, il rompt l’illusion théâtrale dans laquelle la salle était plongée, et nous délivre d’un même mouvement de l’ennui. La caméra s’égare alors en hors-champ pour explorer le théâtre parisien : le décor est posé. En l’espace d’une heure, Yannick (Raphaël Quenard) reprendra le pouvoir sur un trio de comédiens aussi mauvais qu’imbus d’eux-mêmes. Et s’il les couvre parfois de ridicule, ce n’est jamais intentionnel : « Vous méprenez pas, j’ai dit « clowns » avec beaucoup de tendresse ».
Dans ce huis-clos rythmé, Quentin Dupieux mélange les genres, passant de la comédie au thriller en une réplique. D’ailleurs, l’ambiguïté règne en maître du début à la fin, portée par des acteurs bien choisis. Raphaël Quenard -vu dans Mandibules, du même réalisateur- échappe habilement à la caricature. Toujours juste, il incarne une folie tendre, enfantine, jamais effrayante.
De l’absurde accessible
Pio Marmaï reprend quant à lui du relief après un passage presque fade dans Les Trois Mousquetaires (2023). Dans le rôle de l’arrogant Laurent Rivière, il gagne progressivement en puissance pour s’illustrer dans une tirade finale à couper le souffle. Irrésistible, Blanche Gardin (Les Souvenirs ; Smiley) apporte de son côté une légèreté bienvenue.
Parce que oui, « Yannick » fait rire, parfois à la limite de l’absurde, pour mieux servir la satire sociale. Pourtant, Quentin Dupieux signe peut-être ici sa comédie la plus grand-public. Dans sa ligne de mire, on trouve d’abord l’élitisme de la culture et la fracture sociale. Vient ensuite une réflexion sur le maniement des mots et de la langue, sublimée justement parce que ramenée à son usage le plus sommaire. Yannick prend la parole pour parler de lui, des autres, des petits riens du quotidien et de l’intime et semble ainsi toucher du doigt ce que l’on attend vraiment de l’art : rassembler.
Solène Clausse