Yann Arthus-Bertrand : «Je ne suis pas résigné»
Yann Arthus-Bertrand présentait ses images et son film “Human”, samedi, à Montier. Précurseur de la photo de nature militante pour la défense de l’environnement, il prépare un nouveau film consacré aux femmes.
JHM : La COP 23 vient de se terminer. Depuis la COP 21, rien n’a changé ?
Yann Arthus-Bertrand : Ça ne change rien du tout. Heureusement qu’elle existe, ça permet de parler de ces problématiques. Mais le vrai problème de fond, qui est le Graal de tout gouvernement, c’est la croissance, surtout quand on est une puissance économique, sauf que la croissance n’est pas supportable pour sept milliards d’habitants. Je n’ai pas grand-chose à dire de plus que le manifeste des 15 000 scientifiques que l’on a pu lire dans Le Monde il y a quelques jours. On parle de la fin du monde, de la fin de la vie telle qu’elle est sur la Terre. En 50 ans, on a perdu 65 % du vivant sur la terre. On parle de la sixième extinction massive d’animaux. Les insectes volants vont disparaissent. Et comme des idiots, on se bat encore à propos des pesticides. On est tous irresponsables. En fait, on vit dans un déni collectif. On sait tous ce qui va arriver, mais on ne peut pas le croire.
JHM : Nous sommes donc tous responsables ?
Y. A-B : Il y a une insouciance et une inconscience qui me scandalisent. Et on ne peut pas jeter la pierre aux hommes politiques. Ce n’est pas de leur faute : on a les hommes politiques qu’on mérite. Ils suivent ce que veulent la rue. Ils veulent faire plaisir. Personne n’a envie d’écouter celui qui apporte les mauvaises nouvelles. Celui qui dit «Achetez-moins, mangez moins de viande.» Et puis ce qui me scandalise aussi, c’est le manque d’éthique et de morale. L’histoire de la triche sur les tests des moteurs diesel, pour moi, c’est un crime contre l’humanité. La pollution de l’air, ça se compte en millions de morts.
JHM : Vous paraissez résigné…
Y. A-B. : Je ne suis pas résigné. Mais tout ça me déprime. J’étais en pleurs à la fin de ma conférence ce midi (hier midi, Ndlr) à l’abbatiale. Ce n’est pas évident de se dire que, plus tard, quand les enfants regarderont mes livres, on leur dira : «Regarde, voilà comment c’était les éléphants». Il faut se rendre compte que le budget militaire américain pour la lutte contre le terrorisme depuis le 11 septembre, c’est 1 600 milliards de dollars ! Rien qu’avec le prix d’un Rafale, imaginez tout ce que l’on pourrait faire en matière d’éducation en Afrique ! Le problème c’est nous. Il ne faut pas avoir peur de parler de notre responsabilité personnelle. Je ne suis pas résigné. Mais j’essaie de regarder le monde avec les yeux ouverts. Je fais mon job. Et mon job ce n’est pas de mentir. Il est trop tard pour être pessimiste. Maintenant, il faut y aller !
JHM : Il y a une évolution dans votre travail que l’on voit aussi un peu au festival de Montier : votre centre d’intérêt s’est déporté vers l’Homme.
Y. A-B. : Je suis écolo depuis que j’ai 20 ans. Et j’en ai un peu marre de répéter les mêmes choses. Aujourd’hui, on parle de la disparition inévitable des éléphants ! Ça fait un choc ! La fonte des glaces, j’en ai marre d’en parler depuis des années. C’est de pire en pire. Le réchauffement climatique, j’en ai marre d’en parler. Alors qu’écouter parler les gens du sens de la vie, ça, ça élève. Ça me rend meilleur.
JHM : Il y a eu “Home”, “Terra”, puis “Human”, qui est présenté encore ce soir à Montier (samedi soir, Ndlr). Sur quel sujet travaillez-vous actuellement ?
Y. A-B. : Je travaille sur la suite de “Human”. Le film portera sur les femmes. Parce que les femmes, c’est une des solutions. Elles sont plus courageuses que les hommes. Elles n’abandonnent jamais. Elles réussissent mieux à l’école. Elles subissent la violence des hommes. On parlera d’éducation, d’illettrisme, parce que 80 % des femmes sur la planète sont des femmes illettrées. Comme pour “Human”, il n’y aura pas de droit pour que le film soit diffusé partout. On en a tourné 20 % environ.