Violences conjugales – Acte II
Tragique expression d’un profond mal-être ou froide démonstration d’une violence assassine ? Ces deux questions ont hanté les esprits tout au long de l’examen d’un dossier impliquant un père de famille pris de démence.
Les auteurs de violences faites aux femmes ne sont pas tous issus de milieux carencés. Derrière l’image d’un homme au visage transpirant honte, tristesse et mal-être se cache un citoyen animé de la fierté d’un père de famille d’une apparence commune. Bachelier, Albert Johnson occupe un poste d’agent de maîtrise depuis plusieurs années. Disposant de revenus confortables, ce quadragénaire a partagé plus de vingt années d’union avec son épouse. Deux filles seront nées d’une relation animée des petites tristesses et grands bonheurs inhérents à la vie commune de millions de couples.
«Nous avons connu des hauts et des bas», glissait Albert Johnson avant de se replonger dans la démence d’une nuit de septembre. «Nous étions couchés, j’ai reçu des coups de pied et j’ai senti une pression sur mon cou, se remémorait l’épouse du prévenu. Je pleurais, il m’a dit qu’il ne voulait plus que je respire, puis il a menacé de prendre un fusil et de tuer les filles avant de se suicider. Il a été dans le couloir puis a sorti un fusil et des cartouches de l’armoire. Il a mis une première cartouche, je suis parvenue à l’éjecter et j’ai laissé mon doigt dans la culasse. Il a fini par poser le fusil. Je n’osais pas bouger, j’avais peur, il a fini par s’endormir et j’ai attendu le lendemain matin avant de prévenir les gendarmes.»
Les enfants du couple ont assisté à la scène. Professeur des écoles, l’ainée confiera aux enquêteurs avoir verrouillé la porte de sa chambre et veillé à protéger sa soeur en envisageant une fuite par une fenêtre du domicile. Mère et filles auront également fait état de la rigueur d’un père au «fort caractère», habitué «aux violences verbales», un homme opéré d’un cancer en 2010 et inquiet quant à une possible rémission. «La maladie n’a rien arrangé, mais il ne fallait jamais le contrarier et il prenait du plaisir à me rabaisser, soulignait la mère de famille, après avoir indiqué avoir engagé une procédure de divorce. Il était dépressif, il se soignait trois ou six mois, puis il jetait ses médicaments. Il a changé d’année en année. Il est travailleur, il se donnait à fond dans le sport depuis sa maladie, mais il n’avait plus d’amis et je craignais un drame familial.»
«Faire passer un message»
«J’étais très fatigué, je n’avais pas dormi depuis 24 heures, j’avais bu un peu d’alcool et je ne me souviens pas avoir dit que j’allais tuer les filles, affirmait le prévenu. Dès que ma femme a dit “j’étouffe”, j’ai lâché prise. J’ai tout fait pour que mes filles réussissent. J’ai été tyrannique à certains moments, mais je ne m’en rendais pas forcément compte.»
Assurant la défense de la victime, Maître Cotillot soulignait l’importance de la mise en place d’un suivi psychologique susceptible de profiter au prévenu. «Pour madame, monsieur restera toujours le père de ses filles, mais cet homme ne comprend pas ce qui se passe en lui et il ne fait rien pour régler le problème. Il doit se prendre en charge», martelait l’avocate.
«Chaque dossier a sa vérité, mais nous sommes à nouveau confrontés à la dérive d’un homme. Le rôle de ce tribunal est de faire passer un message à cet homme suite à ces faits humainement et socialement inacceptables», poursuivait le procureur Prélot avant de solliciter entre six et douze mois de prison assortis d’un sursis avec mise à l’épreuve comportant diverses obligations.
Condamné à dix mois de prison, Albert Johnson devra se plier à des obligations de soins et respecter une interdiction formelle dentretenir le moindre contact avec son épouse. A la confiscation des fusils saisis au domicile s’ajoute une interdiction de détenir une arme. Albert Johnson devra également s’acquitter de 1 500 euros de dommages et intérêts et 700 euros de frais de justice.
«Plus de peine qu’autre chose»
Assurant la défense du prévenu, Me Tribolet s’est livré à un courageux exercice au cours de sa plaidoirie. «Mon excellent confrère Me Leborgne parle d’affaires au sujet desquelles on ne peut plus rien dire, la cause est entendue et les tribunaux ne vous écoute plus, a lancé l’avocat. Monsieur ne fait plus de peine qu’autre chose ! Ce dossier révèle un profond mal-être se traduisant par l’expression d’une emprise. Travestir la vie de ce couple n’a aucun intérêt. Monsieur est bourru, replié sur lui-même, il a reçu une éducation autoritaire, il éprouve des difficultés à s’ouvrir aux autres, mais il a sa place dans la société, monsieur n’est pas un tortionnaire à bannir du canton ! Cet homme est décrit comme fier, mais il est plein de faiblesses et il théâtralise ses souffrances. Dans ce dossier, il n’y pas de sang, pas d’incapacité totale de travail, pas de détonation, pas même une gifle ! Monsieur n’a pas braqué l’arme vers madame, le fusil, il l’a retourné contre lui en se glissant le canon dans la bouche ! Quand un médecin vous dit le mot “cancer”, la vie change. La peur de rémission est naturelle, cet homme est hanté par la peur et cet homme a besoin d’aide !»