“Usufruit”, de Nicolas Combet
Notre correspondante
Aurélie Chenot présente
quelques-uns des romans
et essais qui l’ont séduite
ou bouleversée au cours
des derniers mois.
Aujourd’hui,l’aventure
d’un primo-romancier,
Nicolas Combet,
dont le manuscrit a été lu
et retenu par les éditions P.O.L.
« Et alors qu’il semble que rien n’a changé, on découvre que tout est différent, sans qu’on sache bien dire comment. » : telle est l’unique phrase qui se trouve sur la 4e de couverture du premier roman de Nicolas Combet. C’est une technique souvent employée par l’éditeur pour résumer un ouvrage. Au-delà du procédé, ces quelques mots illustrent très bien l’histoire qui est racontée dans ce livre, ainsi que l’impression diffuse que l’on ressent une fois qu’on l’a terminé. Car ce roman ne ressemble à aucun autre. D’abord par sa forme, dont il faut souligner la singularité et l’audace. L’écrivain adresse un avertissement à son lecteur, dès le premier chapitre, en lui présentant les grandes lignes de son récit, et, chose peu commune, en allant même jusqu’à en dévoiler l’issue, sans pour autant altérer un seul instant l’envie de poursuivre la lecture en sa compagnie. Et puis très vite, on est embarqué dans cette narration, parfois étonnante quand surgissent des dialogues au détour d’un flux de pensée, sans prévenir ni s’encombrer des traditionnels guillemets : « Paul sent la sueur ; elle lui demande de l’appeler Renée et de servir deux pastis pas trop tassés pour moi, asseyez-vous. Vous savez, on sera contentes que vous soyez là. Viviane a bien de la peine depuis que ses parents sont morts et que son époux l’a quittée. Je suis sûre que vous ne m’en voudrez pas que votre appartement n’offre pas tout le confort moderne, mais déjà, vous savez, il y a des toilettes dans la maison. Il n’y a pas si longtemps, on allait dans la cour. Elle rit, Paul est intimidé en même temps que comblé. » L’histoire que raconte Nicolas Combet est celle d’un immeuble de Montreuil, une ville de Seine-Saint-Denis qu’il connaît bien puisque cela fait 20 ans qu’il arpente ses ruelles. L’histoire d’un immeuble mais surtout de ses habitants, quelques vies anonymes que l’écrivain parvient à sublimer, le temps d’un roman, en évoquant leur existence d’une façon à la fois réaliste et très poétique. Beaucoup d’humanité se dégage de ses personnages, qui semblent sortir d’un rêve, tout en restant parfaitement ancrés dans le réel. Chaque détail est important, chaque souffle, chaque geste, chaque objet du quotidien. Que ces histoires aient pu exister ou non n’a guère d’importance, tant il est vrai qu’elles révèlent avant toute une sorte de lien invisible entre les mondes, entre les lieux, entre les époques, entre les vivants et les morts, et entre les possibles. La méthode employée, celle de l’immeuble, n’est pourtant pas nouvelle : on la rencontre souvent au cinéma, ou chez des auteurs tels que Balzac ou Perec. On commence par raconter une ville, un quartier, une rue, une maison, avant de faire un gros plan sur ses occupants. Ce qui fait la différence chez Nicolas Combet, c’est l’élan et la fantaisie avec lesquels il prend plaisir à narrer ces vies, qu’on pourrait qualifier de minuscules, pour reprendre le titre d’un de ses auteurs favoris, Pierre Michon.
“Usufruit”, de Nicolas Combet, Editions P.O.L, janvier 2022.