“Une vie”, Juste parmi les fictions
CRITIQUE. Magnifiquement retenu, le biopic “Une vie”, retraçant le parcours de Nicholas Winton, cet Anglais ayant sauvé 669 enfants des griffes des Nazis, à Prague, coupe le souffle. Jamais too much, le film de James Hawes met en image une histoire aussi incroyable que vraie.
Une leçon de pudeur. C’est ce qu’est “Une vie”, biographie ciné de Nicholas Winton, courtier britannique ayant fait fuir de Prague des centaines d’enfants, dont beaucoup étaient Juifs. Une jeunesse destinée au plus funeste des destins alors que son pays subissait l’invasion des troupes hitlériennes, à la veille de la Seconde Guerre mondiale. De cette histoire, bien réelle, le réalisateur James Hawes extrait un superbe long-métrage, forcément tire-larmes, mais jamais superflu. Nul besoin d’ajouter du grandiose à un destin rempli d’humilité. C’est fait ici, avec force finesse. Ou comment raconter rudement bien l’histoire d’un homme rudement bon.
Jeune et vieux
Disons-le d’emblée, “Une vie” n’a rien de révolutionnaire. Réalisation et montage – notamment les alternances entre les années 1980, avec un vieux Nicholas Winton un peu paumé, et les années 1930, où le jeune courtier et ses camarades ont soulevé des montagnes pour sauver des enfants – sont d’une belle facture, mais ne transcendent pas. La bande-son, à grand renfort de piano, comme pour ajouter à la dramatique, vise juste sans casser la baraque. Et c’est bien comme ça.
Le film n’a pas besoin de forcer le trait, de porter aux nues son protagoniste dont les actions en font forcément un héros. L’histoire est tellement puissante qu’elle se suffit à elle-même. Il semblerait que toute l’équipe du long-métrage, du réalisateur aux producteurs en passant, forcément, par le casting, l’ait compris. Pourtant, quand vient le dernier acte, il faut être sacrément de marbre pour ne pas vaciller. Mais réduire le film à sa dernière demi-heure sanglotante serait malhonnête. “Une vie” est, pendant 1 h 49, un concentré de modestie cinématographique. Ni plus, ni moins. Déjà énorme.
Jouer juste « Une vie »
Pas aisé de trouver à redire sur les performances d’acteurs dans « Une vie ». Les deux incarnant Nicholas Winton, Anthony Hopkins, vieux, et Johnny Flynn, jeune, illustrent l’homme à deux instants de sa vie. Le premier, peu verbeux, transcende son rôle par ses silences et ses regards. Montrer sans dire, à son paroxysme. Le second, forcément plus causant, apparaît candide dans une réalité sombre, ne faisant jamais du personnage qu’il interprète un super-héros de la liberté bombant le torse face au chaos.
Parce que Nicholas Winton n’était pas seul à faire évacuer les 669 enfants. Ses camarades, Doreen Warriner (Romola Garai) et Trevor Chadwick (Alex Sharp), qui organisaient le départ des enfants depuis Prague, autant que sa mère Babette Winton (Helena Bonham Carter), sont dépeints parcimonieusement, s’effaçant derrière le rôle qu’ils ont tenu pendant l’opération. Encore une fois, la finesse est de mise.
Né juif, devenu socialiste
“Une vie”, au-delà de dénoncer le nazisme, sans pour autant le montrer en détails, est parcouru de questionnements. L’orientation politique de Nicholas Winton, socialiste pris pour un officier nazi par des réfugiés tchèques alors qu’il déambule dans les bidonvilles de Prague, est finement interrogée. La judéité du protagoniste – chrétien converti, Winton est né juif, ce qui donne lieu dans le film à un très bel échange avec un rabbin qui hésite à lui confier les enfants dont il a la charge – est amenée habilement, elle aussi.
Nicholas Winton, le vrai, a été honoré à moult reprises avant sa mort à l’âge canonique de 106 ans, en 2015. Il a été fait chevalier par Élisabeth II, puis a reçu le titre de Héros britannique de l’Holocauste, des mains de son gouvernement. En République tchèque, il a reçu l’ordre du Lion blanc, soit la plus haute distinction du pays. S’il n’était pas né juif, il aurait très certainement été fait Juste parmi les nations. Face à tout cela, et plus encore face aux 669 enfants qu’il a sauvé de la barbarie nazie, ce biopic est une bien petite récompense. Ça n’en fait pas moins un grand film.
Dorian Lacour