Une grande dame – L’édito de Patrice Chabanet
Une grande dame – L’édito de Patrice Chabanet
Il est des hommages unanimes qui en disent plus long d’une carrière que l’interminable rappel des succès et des remises de prix. Une icône, une grande dame, une immense artiste, un joyau, un monument : les mots n’ont pas manqué pour saluer la disparition de Jeanne Moreau. Rares sont ceux et celles qui ont laissé une telle empreinte dans la culture de notre pays, et même au-delà. 65 ans d’une carrière qui mêlait avantageusement théâtre et cinéma, avec une pincée de chansons. Elle s’est glissée avec succès sur la Nouvelle vague. Il est difficile de privilégier des chefs-d’œuvre dans sa filmographie. Sans risque de se tromper, on citera Ascenseur pour l’échafaud, Jules et Jim, Journal d’une femme de chambre. Dans un style plus léger, on n’oubliera pas le fameux duo qu’elle formait avec Brigitte Bardot dans Viva Maria. Elle savait basculer du registre de la gravité à la comédie plus légère, comme dans Les valseuses ou Le miraculé. Elle était inclassable, d’où la richesse de ses interprétations. Le talent ressort toujours d’une alchimie singulière. Chez Jeanne Moreau, il était servi par une forte personnalité. Visiblement, c’est elle qui choisissait ses réalisateurs, et non l’inverse. Et puis, il y avait cette voix incomparable. Au soir de sa vie, certains humoristes l’avaient moquée de manière outrancière, mais elle recelait une sensualité grave et chaude.
Ironie du sort : Jeanne Moreau a tiré sa révérence quelques jours après Claude Rich qui, lui aussi, n’était qu’à quelques encablures des 90 ans. C’est toute une génération qui semble s’en aller. Sans sombrer dans la facilité du « c’était mieux avant », force est de constater que rares sont ceux ou celles qui dominent leur art aujourd’hui, comme l’ont fait Claude Rich et Jeanne Moreau. La durée est une valeur qui se perd. Elle n’est pas « bankable ».