Une autre posture – L’édito de Patrice Chabanet
L’art de la guerre consiste d’abord à innover. Pour l’avoir
ignoré, la France en a payé le prix humiliant en 1939 en
dupliquant les stratégies de 14-18. La guerre contre le terrorisme
obéit aux mêmes exigences, avec des temps de réponse
de plus en plus courts. Ainsi l’opération Sentinelle, lancée en
2015 après les attentats de Paris, n’est déjà plus adaptée à l’évolution
de la menace. Trop statique dans une partie de ses missions,
trop prévisible dans ses mouvements, trop visible au point
de transformer les militaires en cibles. Le gouvernement vient
donc de conférer plus de flexibilité, plus d’imprévisibilité au
dispositif, en répartissant les effectifs «en fonction des besoins».
On vérifiera à l’usage si ce redéploiement s’avère efficace.
Ce que l’on peut dire dès à présent c’est que l’évolution de
Sentinelle s’inscrit davantage dans une logique militaire, ce qui
correspond après tout au métier des armes et à la motivation des
jeunes qui se sont engagés dans ce métier.
Reste entier le débat sur la pertinence de l’opération elle-même,
une polémique bien franco-française avec des avis tranchés et
péremptoires. On peut admettre dans une discussion apaisée
que Sentinelle, ce sont autant d’hommes non disponibles sur
les théâtres extérieurs. Or notre pays répond souvent présent,
notamment en Afrique. En revanche, l’argument selon lequel
ce n’est pas le rôle de l’armée d’intervenir à l’intérieur de nos
frontières est pour le moins discutable. La défense du territoire
est l’une des missions imparties à nos soldats. Certes, l’ennemi
d’aujourd’hui n’a ni chars, ni hélicoptères, ni troupes organisées,
mais il s’attaque globalement à notre pays, et pas seulement à
des cibles ponctuelles. L’intérêt de Sentinelle ne se mesure pas
seulement dans ses capacités opérationnelles. Il est aussi dans la
relation armée-population. Les citoyens se sentent rassurés par la
présence de leurs soldats dans la rue. Ils le disent régulièrement
dans les sondages. Pour un pays qui a connu des pulsions antimilitaristes,
c’est un signe qui ne trompe pas.