Un western au féminin
“Un métier dangereux” est paru en février aux éditions Rivage. L’autrice, Jane Smiley, est une romancière américaine très connue pour son triptyque “Un siècle américain”, bestseller en Amérique et en Europe. Elle vit aujourd’hui en Californie où elle situe l’action de son nouveau roman, les aventures rocambolesques d’une jeune prostituée intelligente et débrouillarde au milieu du XIXe siècle.
Eliza, l’héroïne, a mal débuté dans la vie : née au Michigan dans une famille d’Ecossais rigoristes, elle se voit imposer un mariage à l’âge de 18 ans, avec un mari plus âgé qui la traite en servante, la déracine pour aller à Monterrey, en Californie où il finit par mourir deux ans plus tard, lors d’une bagarre dans un bar. Eliza qui « s’était trouvée plus soulagée qu’attristée d’être veuve », y voit une indépendance providentielle. Le marché du travail étant réduit pour les femmes à cette époque, elle se fait embaucher dans une des nombreuses maisons closes qui prospéraient dans ce bourg où on comptait « environ huit à neuf hommes pour une femme : Espagnols, Portugais, Rumsens, Ohlones, marins britanniques, colons américains et aussi des prêtres et des presbytériens » venus là pour chercher fortune.
La chance continue : sa patronne, ancienne prostituée, traite avec beaucoup d’attentions ses jeunes employées qu’elle soigne bien et protège, éloignant tous les clients douteux, n’acceptant que ceux « qui étaient propres et respectueux », et utilisant les services d’un garde du corps prêt à intervenir en cas de dérapage. Elisa, qui n’a jamais été aussi bien traitée, s’épanouit et se fait une amie : John. Aussi, quand deux jeunes collègues disparaissent sans laisser de trace et sans que la police locale bouge un pouce pour les retrouver, décident-elles de mener leur propre enquête. Dès lors, tous les clients leur semblent suspects et elles mettent à profit leurs moments libres pour les épier…
Le western se fait thriller, inspiré largement par “Double assassinat dans la rue Morgue” d’Edgar Poe, un auteur qu’Eliza et John ont découvert dans les livres laissés là par les clients et qui les fascine. Elles s’identifient à Auguste Dupin essayant d’imiter « sa réflexion froide et logique, sa façon de comprendre et d’analyser ». Savoureuse parodie à laquelle Jane Smiley aime se livrer comme dans son roman “L’Exploitation” où elle s’inspire du roi Lear de Shakespeare.
Ce roman au ton léger, enjoué, brosse de beaux portraits de femmes. Se prostituer est pour elles un travail comme les autres : chaque «miché» vient « faire son affaire » et après, on parle ! Eliza écoute ses clients et s’instruit, ce qui nous vaut aussi un ensemble de portraits masculins souvent peu flatteurs. A leurs côtés, ces jeunes femmes qui, face aux difficultés, s’adaptent, trouvent des solutions et vont de l’avant sans mésestimer les dangers dont elles restent très conscientes : « Entre toi et moi, être une femme, c’est un métier dangereux et ne laisse personne te dire le contraire ».
De notre correspondante Françoise Ramillon