Un petit brin de bonheur
Pharmacienne en retraite, domiciliée à Nogent, Anne-Marie Brocard est en quelque sorte l’experte haut-marnaise des plantes toxiques. Certains l’ont peut-être croisée, à Chaumont, à l’occasion des expositions de champignons de la Société d’histoire naturelle et d’archéologie de Haute-Marne. Elle y a généralement un petit coin où elle informe les visiteurs des risques encourus avec certaines plantes très courantes. Une quinzaine que nous côtoyons peuvent se révéler dangereuses. Lierre, laurier-rose, glycine, muguet ou arum peuvent produire des baies provoquant des vomissements ou des suffocations. La plus redoutable est certainement la belladone, dont les jolis fruits noirs et brillants s’avèrent mortels…
Du poison
Pharmacienne en retraite, l’experte connaît bien les risques et l’attitude à avoir en cas d’ingestion. Le premier conseil est de contacter le Samu en faisant le 15. Mais en cette veille de fête du travail, c’est le muguet qui a la vedette. « Jean-Marie Pelt, qui était mon professeur à l’université, s’amusait du fait que l’on offre une plante toxique comme porte-bonheur pour le 1er mai : il n’y a vraiment que les Français pour avoir une telle idée », se souvient Anne-Marie Brocard. Le muguet est odorant, il est joli, mais ne perdons pas de vue qu’il peut être mortel. Le poison se trouve dans toutes les parties de la plante. Mais le pire, ce sont les fruits : les petites boules rouges bien appétissantes qui viennent après la fleur sont tentantes pour les enfants. Aussi, on peut recommander de cueillir les fleurs, ce qui évitera d’avoir des fruits. Le muguet renferme dans toutes ses parties de puissants hétérosides cardiotoxiques. « Le simple fait de mâchonner un brin de muguet peut provoquer des troubles digestifs et cardiaques très graves », alerte Anne-Marie Brocard. L’eau du vase – d’autant plus s’il s’agit d’un verre -, doit être vidée et le récipient minutieusement rincé. Car cette eau elle aussi toxique.
s.chapron@jhm.fr
Sylvie C. Staniszewski
Pourquoi s’offre-ton du muguet ?
Cette fleurs à clochettes blanches odorantes pousse à partir de fin avril. Elle est le symbole de pureté, d’honnêteté, de discrétion, mais surtout de bonheur. Le muguet pousse dans les zones humides et ombragées. La tradition veut que l’on en offre un brin aux personnes que l’on aime pour leur porter chance, le jour du 1er mai.
Ce jour férié où l’on célèbre la Fête du travail trouve son origine outre-Atlantique. Le 1er mai 1884 – premier jour de l’année comptable aux Etats-Unis -, les syndicats ouvriers américains manifestent pour revendiquer la journée de huit heures. Plusieurs victimes périront suite aux heurts entre manifestants et forces de l’ordre. En France, lors du congrès de la IIe Internationale socialiste, il est décidé de se mobiliser le 1er mai 1890, avec les mêmes revendications. Là aussi, il y a eu des victimes. Depuis avril 1919, le 1er mai est une journée chômée.
Mais que fait le muguet dans cette affaire ? Il était de coutume, à la Renaissance, de s’en offrir au moment du printemps, notamment dans la Drôme d’après l’ouvrage du botaniste Jean-Marie Pelt. En 1561, le jeune roi Charles IX, accompagné de sa mère Catherine de Médicis, aurait reçu un bouquet de muguet de la part du chevalier Louis de Girard, en guise de porte-bonheur. L’année suivante, le roi a fait de même en en offrant un brin à toutes les dames de sa cour pour leur porter chance.
La coutume serait ainsi née, puis reprise par les couturiers français qui en offraient à leurs clientes et petites mains. Ont ensuite suivi, toujours selon le travail de Jean-Marie Pelt, les fêtes du muguet de la région parisienne puis les élections des reines.
L’églantine rouge – en mémoire du sang versé lors des manifestations des ouvriers – est un temps devenue le symbole du 1er mai. Jugeant l’églantine écarlate trop révolutionnaire, le maréchal Pétain l’a officiellement remplacée sous le régime de Vichy par le muguet, déjà fort populaire en France ce même jour.
Ne pas le confondre le muguet et l’ail des ours
Anne-Marie Brocard alerte sur un risque de confusion important en ce printemps. Chaque année, des personnes ingèrent du muguet en pensant qu’il s’agit d’ail des ours. Il faut dire que les deux plantes poussent à la même période (en ce moment) et que côte à côte, elles ont de fortes similitudes. L’odeur est un bon indicateur, mais ce n’est pas toujours facile si du muguet se mélange à l’ail des ours. Les feuilles se cueillent par deux. Elles sont également ovales et d’un vert luisant parcouru de nervures parallèles. L’année passée, deux personnes ont fait les frais de cette confusion en Grand Est. « Les feuilles sont riches en vitamine C. Elles dégagent une forte odeur d’ail quand on les froisse », indique Anne-Marie Brocard. L’ail des ours se déguste séché, en poudre, pour agrémenter les plats et salades, en omelette ou comme du pesto pour l’apéritif.
Anne-Marie Brocard alerte aussi sur une autre confusion possible entre l’ail des ours et le colchique. Les feuilles sont plus hautes, plus longues, mais pour qui n’y connaîtrait pas grand-chose, la confusion existe. « Il y a eu des cas », regrette Anne-Marie Brocard. Le colchique fleurit d’un joli rose lilas à l’automne. Au printemps, ses fruits sont contenus dans une capsule à la base des feuilles. Cette plante, comme ses fruits, est toxique. Le colchique « provoque des troubles digestifs, cardio-vasculaires, nerveux et respiratoires très grave, généralement mortels… »
Notre experte attire également l’attention de nos lecteurs sur une autre confusion entre l’ail des ours et les feuilles d’arum. Celles-ci sont toxiques et peuvent provoquer des maux graves. En regardant de près, on remarque toutefois que les feuilles n’ont pas la même forme que celles de l’ail des ours. « Je le précise aussi car je sais qu’il y a eu des confusions », conclut la spécialiste. Les intoxications avec les jolies baies rouges d’arum qui se forment en été sont, elles, aussi nombreuses. Un point commun avec le muguet.