Un marché de l’art tout de clair-obscur
Perpétrés en mai 2008, les vols d’oeuvres d’art commis à Langres et Auberive auront abouti aux arrestations de deux receleurs présumés. Terrorisés par les pressions exercées à leur encontre, les prévenus n’auront jamais livré aux enquêteurs les arcanes d’un véritable réseau.
Qu’elles soient signées par Andries van Eertvelt ou autres maîtres, les œuvres d’art alimentent un marché faisant honneur aux ténébreux principes de l’école du clair-obscur. Si de nombreuses œuvres dérobées au cours de la deuxième guerre mondiale demeurent introuvables, les fonctionnaires de l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels mettent chaque année la main sur des pièces volées. Voleurs, receleurs et antiquaires véreux sont ainsi régulièrement interpellés au terme de longues enquêtes mettant au jour de véritables réseaux internationaux.
Les cambriolages commis dans châteaux et belles demeures sont particulièrement prisés de délinquants férus d’histoire de l’art. Résidant respectivement à Langres et Auberive, deux amateurs de belles pièces ont ainsi été victimes de la maîtrise de monte-en-l’air particulièrement bien renseignés. Tableaux et meubles sont dérobés en toute discrétion dans la nuit du 8 au 9 mai 2008. Plusieurs pièces font l’objet de cotes avantageuses. La valeur marchande du butin est estimée à plus de 50 000 euros.
Quelques semaines après ces vols, le fils d’une des victimes retrouve la trace d’une toile sur un site Internet. Le tableau est mis en vente par un antiquaire lyonnais. Une perquisition est opérée. En possession de la pièce dérobée, l’antiquaire affirme avoir acquis la toile auprès d’un confrère alsacien. Interrogé, ce dernier confiera avoir acheté le tableau pour la modique somme de 250 euros au marché aux puces de Metz. Le vendeur ne tarde pas à être identifié. Pierre Labatut suscite toute l’attention des enquêteurs.
Deux autres toiles sont retrouvées. L’une doit être présentée dans une salle des ventes parisienne. L’autre est en possession d’un antiquaire installé à Villeurbanne. Résidant à Beaune, Pierre Labatut est à nouveau présenté comme le vendeur de ces pièces. Le suspect reconnaîtra avoir écoulé les tableaux avant d’impliquer André Malraux. Censé avoir entreposé les toiles dérobées, ce dernier niera toute implication. Hanté par la peur de vives représailles, les deux hommes seront également particulièrement évasifs quant à l’identité du fournisseur des pièces dérobées. Un certain “monsieur Henri” aurait fourni les tableaux. Comme le révélera le juge Thil, Henri Heitzmann fut longtemps suspecté par les enquêteurs. Aucune preuve ne permettra toutefois de caractériser une quelconque implication de cette sulfureuse figure bouguignonne.
Pressions et menaces
«L’implication supposée de mon client repose uniquement sur les déclarations de Pierre Labatut et ces déclarations ne sont étayées par aucune preuve, martelait Me Lacour au nom d’André Malraux. Pierre Labatut. était apeuré, il craignait des représailles, il a été menacé de mort par ce fameux “monsieur Henri”. Dans ces conditions, André Malraux faisait office de pigeon rêvé ! L’impliquer a permis ne pas inquiéter d’autres personnes. Mon client voulait absolument être présent à cette audience, mais il a fait l’objet de nouvelles menaces il y a quelques jours !» Me Lacour faisait également référence à l’activité soutenue du “gang des châteaux” en 2008. Plus clairement, modeste brocanteur, Pierre Labatut n’afficherait pas le profil de pontes du grand banditisme.
Me Chebbah faisait également état des pressions exercées à l’encontre de son client. «Pierre Labatut a reconnu son implication et il a désigné André Malraux. même si aucun élément matériel ne corrobore l’implication de cet homme, rappelait le conseil de Pierre Labatut. L’ambiance était pour le moins nauséabonde, tout le monde aura compris l’ampleur des menaces proférées par Henri Heitzmann à l’encontre de Pierre Labatut. Dans ce dossier, il y a des noms qu’on ne peut pas oublier ! Hormis Henri Heitzmann, je pense notamment à Pierre Richard, vous penserez sans doute à l’acteur, mais personnellement je pense à cet antiquaire de Villeurbanne où un tableau volé a été retrouvé. Cet homme a versé 8 000 euros en espèces à Pierre Labatut. afin d’acquérir cette toile ! Nous n’avons aujourd’hui que la partie apparente de l’iceberg. Mon client a un casier vierge et il a manqué de peu de se réfugier à la Légion étrangère pour échapper aux pressions. On a clairement profité de lui !» L’affaire a été mise en délibéré.