Un livre maudit – L’édito de Patrice Chabanet
La réédition de Mein Kampf dans une version contextualisée constitue un exercice difficile. Comment mettre au jour les mécanismes de la pensée hitlérienne sans susciter une curiosité morbide chez des admirateurs potentiels (ça existe encore…) ? Les auteurs de l’ouvrage ont mis dix ans pour démonter, pièce par pièce, les allégations d’un antisémite maladif porté au pouvoir par un peuple contaminé. Aujourd’hui, on parlerait de fake news. Dans les années vingt et trente le discours était plus rustique mais très efficace. On en connaît le résultat : « calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ». Un quelque chose d’effrayant, en l’occurrence : une guerre mondiale et la Shoah. Saluons donc l’exercice. Il est nécessaire quand des idées néonazies remontent à la surface et polluent le débat politique sur le continent européen. La recherche de boucs émissaires est un virus dont on n’a toujours pas trouvé la parade. On n’en fera jamais assez pour vaincre la lèpre de l’oubli. Cela dit, la réédition de l’ouvrage a ses propres limites : son coût (100 euros) et la cible visée, les chercheurs qui n’ont pas attendu pour être convaincus de son contenu nauséabond.
En aval, demeure un mystère : comment un tissu de mensonges a-t-il pu séduire nombre d’intellectuels allemands au point de cautionner le régime brun ? Un philosophe d’exception, comme Heidegger a même accepté de présider l’université de Fribourg en faisant allégeance à Hitler. L’état-major de la SS était composé de diplômés et de citoyens cultivés. Que l’opinion publique allemande ait été grugée, on peut le comprendre sous la pression d’une propagande effrénée. Mais que l’élite ait été complice, le constat en a été établi par les historiens, mais sans connaître exactement les raisons de ce basculement vers l’horreur. Il devient urgent d’établir un mode de lecture, accessible à tous, des engrenages qui font sombrer une démocratie dans la dictature. Pour comprendre notre Histoire et éviter son bégaiement.