Un chirurgien à la barre
Le 7 mars 2007, la panique gagnait chirurgiens, médecins anesthésistes et infirmiers en poste au bloc opératoire du centre hospitalier de Chaumont. Répondant de l’accusation d’homicide involontaire, le docteur Rieux a réfuté toute responsabilité devant parents et proches de la défunte.
En l’espace de trente ans de carrière, Bernard Rieux aura répété des centaines de fois les mêmes gestes. Spécialiste en chirurgie viscérale, cet ancien chef de service du centre hospitalier de Chaumont a sauvé des vies, animé de valeurs chères à la notion de service public, loin de cliniques et autres établissements privés où petites et grandes fortunes se forgent à la force du bistouri. A la retraite, Bernard Rieux aura vécu sa dernière expérience professionnelle à la barre du tribunal, seul face aux parents et proches d’une femme partie trop tôt. Répondant de faits d’homicide involontaire, le médecin aurait commis une erreur médicale. “Erreur”, le mot est dans toutes les bouches dans une société où culte de la perfection et exigence de résultat occultent diverses réalités : nul expert n’est infaillible et la chirurgie n’est pas une science exacte.
Après plus de dix années d’études, Bernard Rieux avait veillé à actualiser ses connaissances en adoptant diverses techniques chirurgicales participant à une sécurisation accrue des interventions. «J’ai été un des premiers à pratiquer la coeliochirurgie (technique chirurgicale permettant de limiter incisions et cicatrices, Ndlr) dans l’Est de la France, se remémorait le médecin. Je pratiquais une cinquantaine d’interventions par an. Dans une carrière, on vit des expériences traumatisantes. Je ressens une grande tristesse. On ne dort pas sur ces deux oreilles après une telle expérience, mais j’ai continué à travailler. J’ai opéré dès la semaine suivante.»
Le 6 mars 2007, Bernard Rieux se présente en salle d’opération afin de pratiquer l’ablation de la vésicule biliaire d’une quinquagénaire souffrant de calculs. Courante, l’opération tourne au drame. Tubes dotés d’une pointe tranchante, quatre trocarts sont placés. Glissée dans une de ces tiges cylindriques, une caméra permet au chirurgien de visualiser la zone d’intervention.
Aorte sectionnée
«Le quatrième trocart n’est pas rentré facilement, j’ai senti un ressaut, se remémorait le chirurgien. J’ai exploré la cavité abdominale et je n’ai pas vu la moindre goutte de sang. L’anesthésiste a craint une embolie gazeuse. J’ai immédiatement retiré les trocarts et j’ai voulu procéder à une laparotomie (ouverture de l’abdomen par incision, Ndlr), mais l’anesthésiste m’a demandé d’attendre. Deux anesthésistes sont arrivés en renfort, du sang sortait des entrées des trocarts et le ventre de la patiente était gonflé. Je voulais intervenir, mais l’anesthésiste m’a demandé de ne pas le faire. Opérer est un travail d’équipe, le chirurgien n’est pas le patron en salle d’opération.» Entre dix et quinze minutes s’écoulent avant que la laparotomie soit effectuée. «Nous sommes entrés dans de la chirurgie de catastrophe, poursuivait Bernard Rieux. J’ai tout de suite vu que l’aorte était perforée. La patiente a fait plusieurs arrêts cardiaques, des massages très violents étaient opérés et il était difficile de suturer correctement l’aorte dans ces conditions.» Malgré la présence de deux chirurgiens, trois médecins anesthésistes et plusieurs infirmiers de bloc opératoire, la patiente perd plusieurs litres de sang. Conduite au service Réanimation, la mère de famille décédera le lendemain matin malgré plusieurs transfusions. L’autopsie fournira une information précieuse : l’aorte a été percée de part en part.
«La sanction pénale ne peut réparer la douleur de la famille. A aucun moment monsieur n’a volontairement causé le décès, mais il a perdu les trocarts de vue l’espace d’un instant, il a perforé l’aorte, il n’a pas diagnostiqué l’hémorragie et il n’a pas immédiatement pratiqué une laparotomie. Telles sont les conclusions des experts. La faute du médecin est avérée», soulignait le procureur Bellet avant de requérir un an de prison ferme. Après avoir profité de débats particulièrement techniques, le juge Mathieu et ses assesseurs mettaient l’affaire en délibéré. Quelques jours plus tard, le corps médical saluait la relaxe de Bernard Rieux.
La stupéfaction de Me Lambert
Assurant la défense de Bernard Rieux, Maître Lambert a fait état de sa profonde stupéfaction après avoir pris connaissance des réquisitions du procureur Bellet. «Je suis abasourdi par les arguments du Ministère public et encore plus par la peine réclamée, a souligné l’avocat au cours de sa plaidoirie. Ces réquisitions sont totalement disproportionnées et la vérité est transgressée ! Toutes les personnes présentes au bloc indiquent que le chirurgien a exploré la cavité abdominale après le ressaut. Tout le monde avait l’écran sous les yeux et aucun signe hémorragique n’a été détecté ! La seule solution était de recourir à une laparotomie, mon client a retenu cette solution, mais il s’est plié au choix du médecin anesthésiste ! Fallait-il aller contre cet avis ? Il n’y a pas de rapports hiérarchiques entre médecins, le consensus prévaut. Les rapports des experts ne désignent aucune responsabilité pénale contrairement à ce que le Ministère public tente de faire croire. Je sollicite la relaxe !»
«Obtenir des réponses»
«Un mari inconsolable, quatre enfants et des petits enfants cherchent à obtenir des réponses après quatre années d’instruction, a lancé Me Ousman, au nom des parents de la défunte. Monsieur travaillait en équipe, le chirurgien est le maître d’oeuvre, il orchestre, dirige et ne peut donc pas se dédouaner de sa responsabilité. Cette femme aurait dû ressortir du bloc saine et sauve ! Parmi les experts, trois disent qu’on ne peut pas écarter la responsabilité du chirurgien. Un expert indique que le suivi d’un des trocarts a échappé à monsieur ! Dès le ressaut, il fallait tout arrêter et inciser madame.»
Un trocart en question
«Je pense que le dernier trocart a touché l’aorte, mais je n’ai pu détecter aucun signe. Je n’avais jamais utilisé ce modèle de trocart. Ce modèle avait été refusé dans plusieurs hôpitaux et j’avais des doutes même si la technique chirurgicale ne changeait pas», a indiqué Bernard Rieux en cours d’audience. L’hypothèse d’un problème lié au matériel a été balayée d’un revers de main par la représentante du Ministère public. «A aucun moment les trocarts ou leur fabriquant ne sont mis en cause», a affirmé le procureur Bellet. Parmi les nombreuses informations fournis par les experts sollicités, une donnée a retenu l’attention : oscillant entre 0,07 et 0,14 %, les aléas thérapeutiques – étrangers à toute erreur humaine – inhérents au type d’opération menée par Bernard Rieux sont bel et bien réels. Aussi minime soit le risque encouru…