Touche pas à mon pain
Les fondamentaux de l’économie ne se trouvent pas forcément dans les statistiques ou dans les jeux classiques de l’offre et de la demande. Ils sont aussi dans les prix des produits de base, tout simplement parce que l’opinion publique les perçoit presque physiquement. Il en est ainsi du pain, ou de la baguette. Les récentes augmentations – quelques centimes en plusieurs fois – passent mal. Consciemment ou inconsciemment, elles nous ramènent à des périodes sombres de notre Histoire. La Révolution française est née, entre autres, des désordres sur le marché du blé, amplifiés par des moissons médiocres. Les prix se sont envolés et ont pris de plein fouet les classes populaires. On prête à Marie-Antoinette cette fameuse suggestion : « S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche ». Que ces propos aient été tenus ou non en dit long sur la symbolique représentée par le pain.
Aujourd’hui, l’impact est amorti par une moindre consommation. Les Français consomment en moyenne 58 kg de pain par an, contre 328 kg en 1900. Il n’empêche, toute augmentation du prix du pain est perçue comme une attaque contre le pouvoir d’achat. Pourtant en valeur absolue, elle est loin de plomber les comptes d’un ménage : 23 centimes en 20 ans pour la baguette. En valeur relative, le ressenti est plus violent pour un produit vendu en moyenne 89-90 centimes.
Sans le savoir, les consommateurs, surtout les plus modestes, pointent l’inquiétant mécanisme de l’inflation. Le prix du pain est tributaire d’une myriade d’augmentations, celles du blé, de l’énergie nécessaire pour la fabrication, de l’emballage etc. Pour des raisons historiques, liées parfois aux émeutes de la faim, ces variations sont scrutées par les consommateurs. Ces derniers peuvent citer spontanément le prix de la baguette qu’ils achètent tous les jours. Peu pourraient se livrer au même exercice pour un kilo de viande, une plaquette de beurre ou une barquette de fruits.
Face à cette hypersensibilisation de l’opinion publique, faut-il bloquer le prix de la baguette ? Ce serait mettre le doigt dans le piège de l’économie administrée. On en a vu les résultats dans l’ex-URSS et ses pays satellites. Mieux vaut favoriser le pouvoir d’achat, pour desserrer l’étau qui se referme sur les boulangers et pour aider les consommateurs.
Patrice Chabanet