Tony Estanguet : « Le pied pendant 20 ans »
Cette troisième médaille d’or olympique est-elle la plus belle ?
Tony Estanguet : « Elle est très, très belle et ce que je vis est très fort, mais je ne veux pas les hiérarchiser. Quand j’ai été champion olympique à Sydney à 26 ans, c’était génial. A Athènes, en 2004, c’était magique. Même Pékin, je n’ai pas envie de cracher dessus parce que j’ai appris à vivre les Jeux autrement, sans gagner. »
Cela a-t-il été dur de rebondir ?
T. E. : « C’est dur de digérer un échec comme celui-là. Mais cela m’a permis d’apprendre à naviguer différemment. J’ai travail-lé avec mon frère et avec mon entraîneur, Sylvain Curinier. C’est aussi grâce à Pékin que l’on vit les moments rares d’aujourd’hui (hier). Cela conclut le chapitre.»
Le chapitre… Ce n’est donc pas la fin ?
T. E. : « Je ne veux pas prendre cette décision aujourd’hui. Rio, en 2016, ça ne me paraît pas envisageable, ni même sérieux. Mais je suis plus proche de la fin que du début, c’est certain. Je vais réfléchir à tête reposée, avec ma famille, mes entraîneurs. J’ai pris tellement mon pied pendant vingt ans que je n’imagine pas vivre sans ça. Quand on est dans le “start”, on est à poil, face à soi-même. C’est une sensation terrible. J’ai encore cette envie de naviguer, de gagner, même après autant de titres. A chaque fois, c’est beau. C’est une histoire différente. Cela va être bien fade maintenant. Il va me falloir trouver d’autres défis. »
« En phase avec l’élément »
Cette médaille est-elle celle du plaisir ?
T. E. : « Je voulais m’élancer en résonnant de cette façon. Mais ce n’est pas possible. J’étais dans le contrôle et dans l’abnégation. Tout a été dur, mais ce sont des sensations tellement intenses à l’arrivée… »
Avec cette troisième médaille d’or en quatre olympiades, vous entrez dans la légende, devant Jean-François Lamour et David Douillet. Que cela vous inspire-t-il ?
T. E. : « Je ne me rends pas compte. Cela peut choquer mais je ne suis pas là pour battre des records. Je voulais me prouver que j’étais capable à chaque fois de ne pas craquer. »
Vous avez dit avoir beaucoup de mal à maîtriser le bassin, cette semaine. Vous avez finalement réussi à le dompter…
T. E. : « Je ne sais pas si j’y suis vraiment parvenu. Comme à Pékin, ce parcours était très compliqué. Il ne fallait pas tenter des choses incroyables, faire simple. Les pièges étaient très nombreux. J’ai trouvé le bon timing, l’équilibre entre la précision et la détermination. Je me suis senti en phase avec l’élément. Ce sont des moments précieux ! »
Michael Martikan a sorti une très grosse course, juste avant vous. Connaissiez-vous son résultat avant de vous élancer ?
T. E. : « Oui ! Quand je pars, je sais qu’il a claqué un chrono. J’ai entendu le public crier fort. Je savais qu’il répondrait présent. Moi, je me suis juste dit de ne plus penser à la concurrence. Le défi qui m’attendait était avec la rivière, rien d’autre. »
Propos recueillis par D. C.