Commentaires (0)
Vous devez être connecté à votre compte jhm pour pouvoir commenter cet article.

Sur la route des stups

Reportage réalisé en novembre 2009 à Chaumont, Liège, Maastricht et Amsterdam.

Sur la route de la drogue

A moins de 500 km de Chaumont, les Pays-Bas font office de terre promise pour les consommateurs de stupéfiants. Touristes à la recherche de sensations, adeptes des week-ends “défonce”, petits trafiquants et réseaux internationaux profitent du système néerlandais. Face à la généralisation du narco-tourisme, les autorités entendent limiter l’accès aux coffee-shops. Des quais d’Amsterdam aux rues de Chaumont, voyage à tombeau ouvert sur la route de la drogue.

Amsterdam. Amsterdam, un samedi soir comme tant d’autres. Dans les coursives du parking souterrain Centraal Station, Belges, Allemands et Français s’attardent devant un plan de la Venise du Nord. En surface, passants et cyclistes filent entre les trams. Le Van Gogh Museum se vide. Au Doors coffee-shop, une vingtaine de variétés de marijuana et haschich sont à la carte. Les joints se consument, Morrison s’époumone et Stéphane a le sourire. «Je rêvais depuis longtemps de venir passer quelques jours à Amsterdam, commente ce jeune technico-commercial résidant à Sens (Yonne). J’attends des amis qui doivent arriver dans la soirée.» Consommateur régulier de cannabis, Stéphane patiente devant un petit noir. La soirée promet d’être longue.

La nuit tombe sur les canaux. Dans les artères du Red light district, des hordes de britanniques déambulent en rangs serrés. Femmes et transsexuels s’exposent en vitrine. Les rideaux s’ouvrent et se referment. Dans les bars, la bière coule à flots. L’ambiance est plus feutrée dans les nombreux coffee-shops du centre-ville. Les Amsteldamois se font rares. Comme le confirment de nombreuses études, les Néerlandais ne sont pas amateurs de drogues douces. Fumer renvoie à une image dépassée. Hippies, rockeurs, reggaemen et autres apôtres de la consommation de stupéfiants ne trouvent plus grâce aux yeux des adolescents et jeunes adultes. A la libéralisation de la cession de cannabis se sont ajoutés des politiques de sensibilisation et de prévention efficaces. Le nombre de consommateurs de cannabis est ainsi moins élevé aux Pays-Bas qu’en France ou en Angleterre.

Or vert

A défaut de contenter la jeunesse amsteldamoise, la présence de coffee-shops répond à une politique – incontrôlée – de promotion du narco-tourisme. Cette filière dégage chaque année plus de 60 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Une manne en grande partie assurée par la demande croissante de touristes appâtés par sexe, drogue et culture.

Aux douze coups de minuit, Amsterdam bouillonne. La fête bat son plein. Au Jolly Joker, coffee- shop recommandé par plusieurs guides touristiques, la patronne accueille ses derniers clients. La vente de haschich et de marijuana est interdite aux mineurs. Instinctivement, un jeune Néerlandais présente sa carte d’identité. Technicien de maintenance dans le secteur de la robotique, Pierre s’installe au comptoir. En mal de conversation, ce Lillois se montre disert. «Je viens aux Pays-Bas trois ou quatre fois par an pour le boulot, confie ce trentenaire. J’ai consommé du cannabis quand j’étais jeune et j’en garde de bons souvenirs des effets. Je ne fume plus depuis au moins 20 ans et j’ai arrêté le tabac il y a onze ans.» Pierre commande un black space-cake, gâteau à base de farine, beurre, œufs, chocolat et cannabis. «Mangez la première moitié ici et consommez le reste lorsque vous serez dans votre chambre», conseille le serveur. Pierre sourit et déguste son dessert.

Sur les allées de la Rembrandt Plein, ombres et lumières se mêlent. Musique électronique et chaudes lumières s’échappent des clubs du quartier Leidse Plein. Dans les allées du Vondel Park, l’hécatombe se dessine sous les feuillus. Héroïne et cocaïne sont bon marché. Des dealers vont et viennent à la recherche du client.

Vasco a fait de la vente de drogues dures aux touristes un marché florissant. Consommateur d’héroïne, cet Amsteldamois cède le gramme de cocaïne pour 80 euros, un tarif au-dessus du prix du marché. Les touristes sont peu regardants sur prix, qualité et quantité. En français dans le texte, Vasco indique un boîte de nuit où prendre du bon temps. «Là-bas, tu peux consommer sans problème, annonce le dealer. Si tu cherches une fille, il n’y a pas de problème. Il y a tout pour s’éclater.»

Au petit matin, âmes grises et frivoles se croisent sur les quais. A l’heure du petit déjeuner, les coffee-shops fourmillent de jeunes Français décidés à profiter de leur séjour “défonce” à Amsterdam. Un groupe de touristes prend la direction du Rijks Museum. Un toxicomane louvoie d’une rue à une autre. De jeunes Français s’extasient devant un étal garni de pipes à eau. Ainsi va la vie, chaque week-end, sur les quais de la Venise du Nord.

 

Des racines coloniales

La politique néerlandaise en matière de stupéfiants résulte de divers facteurs. Lié au développement de la médecine moderne, l’usage d’opiacés s’est généralisé sur le continent européen au cours du XIXe siècle. Les Pays-Bas ont assis leur emprise sur un marché fructueux en développant la culture intensive d’opium et de coca dans les colonies sous administration néerlandaise. Cette politique a permis aux Pays-Bas de devenir le plus gros producteur mondial de cocaïne au début du XXème siècle. Cette activité a assuré l’essor économique du royaume. Le monopole gouvernemental sur l’opium dans les Indes néerlandaises s’est révélé très lucratif jusqu’à l’invasion par l’armée japonaise en 1942.

La professionnalisation des activités médicales a également concouru à légiférer sur la cession de drogues. Praticiens et pharmaciens ont monopolisé l’administration et l’offre des drogues. Utilisés par les médecins, les dérivés d’opiacés ont participé au développement de la médecine moderne.

Refonte de la législation

Après la deuxième Guerre mondiale, l’usage de la marijuana est devenu plus manifeste aux Pays-Bas. L’autorisation de consommation et de vente du cannabis a coïncidé avec l’émergence d’un marché de l’héroïne concurrentiel. Assurée par la French connexion, l’explosion du trafic a nui au monopole néerlandais. La commission Baan a alors entamé une réflexion marquée par une importante révision de la loi sur l’opium. Une réflexion assurant la popularisation du cannabis au détriment des drogues dures…

Depuis 1976, la consommation et la possession de moins de 5 g de cannabis, vendus dans des coffee-shops titulaires d’une licence municipale, sont tolérées par les autorités. En libéralisant l’usage de drogues douces, le gouvernement néerlandais entendait favoriser une politique de lutte contre les drogues dures et d’accompagnement des toxicomanes. Premier pays à avoir légiféré de la sorte sur la question des stupéfiants, les Pays-Bas sont aujourd’hui le théâtre de nombreux débats portant sur une refonte – attendue – de la législation sur les stupéfiants.

Les coffee-shops interdits aux touristes

Une révolution est en marche aux Pays-Bas. Héritage de l’histoire coloniale du royaume néerlandais, la législation sur les stupéfiants fait l’objet de nombreuses mesures et réformes depuis quelques années.

Comme l’indiquent plusieurs sondages, plus de 70 % des Hollandais sont favorables à un durcissement de la politique de lutte contre les stupéfiants. Les Pays-Bas ont été frappés par l’explosion des drogues dures au cœur des années 1980. Le nombre de consommateurs d’héroïne a quadruplé en l’espace de quinze ans. Cette situation a participé à l’émergence d’un climat insécuritaire favorisé par le développement exponentiel du narco-tourisme.

Exploitée par l’extrême droite néerlandaise – florissante -, la lassitude de la population a amené le gouvernement à limiter l’emprise des stupéfiants sur la société néerlandaise. Permissive, la loi peine à freiner l’activité des trafiquants. Une peine maximale de douze ans d’incarcération punit l’importation et l’exportation de drogues dures. Dans les faits, être arrêté en possession d’un kilo de cocaïne et d’héroïne entraîne une peine inférieure à douze mois de prison. Une peine mineure en comparaison des décisions prises à l’encontre de cambrioleurs, trafiquants d’œuvres d’art ou délinquants sexuels.

Lobbying des horticulteurs

Afin d’apporter une première réponse aux Néerlandais, le gouvernement a annoncé, début septembre, une mesure répondant au développement effréné du narco-tourisme. Les Pays-Bas veulent combattre les effets de la politique de tolérance en limitant la vente de drogues douces. Une expérience pilote va ainsi être lancée dans la région de Maastricht où l’accès à 30 coffee-

shops sera réservé aux seuls détenteurs d’une carte de membre. La vente sera limitée à trois grammes et l’achat devra obligatoirement être réglé avec une carte de paiement délivrée par un établissement bancaire néerlandais.

Cette décision répond à l’exaspération des Néerlandais résidant dans les villes frontalières de l’Allemagne et de la Belgique. Elus et habitants sont confrontés aux actions de lobbying des horticulteurs et professionnels de la distribution de cannabis. Malgré une résistance farouche, le nombre de coffee-shops a été diminué par deux en l’espace de 20 ans.

 

Note : De nombreux coffee-shops sont désormais réservés aux titulaires d’une carte de membre. Ces établissements sont ainsi de moins en moins accessibles aux narco-touristes. Réclamée par la population, cette décision a eu pour effet de multiplier le marché parallèle. Maastricht est ainsi peuplée de dealers interpellant les passants et automobilistes. Les vendeurs de drogues dures sont plus particulièrement actifs. Selon diverses sources, le gramme d’héroïne est ainsi vendu moins de dix euros. Se procurer une dose relève du jeu d’enfant.

 

Marché de gros à ciel ouvert

Située à quelques dizaines de kilomètres de Liège (Belgique) et Aix-la-Chapelle (Allemagne), Maastricht est l’une des principales plaques tournantes du trafic européen de stupéfiants. De nombreux Français résidant dans l’Est de la France profitent d’un marché de gros à ciel ouvert. Cannabis et héroïne transitent chaque jour par dizaines de kilos.

Maastricht. Distante de 478 km de Chaumont, Maastricht est la principale plaque tournante du trafic de stupéfiants frappant le Nord de l’Europe. A proximité directe de la Belgique et de l’Allemagne, la ville théâtre de la signature du traité sur l’Union européenne verrait 4 000 narco-touristes, toxicomanes et trafiquants transiter chaque jour. Les voitures immatriculées dans l’Est de la France encombrent les parkings. Aménagés sur des péniches, deux coffee-shops sont pris d’assaut par de jeunes amateurs de cannabis. En groupe, ces fumeurs froissent papier à rouler et bourrent des pipes à eau aux couleurs psychédéliques. A l’extérieur, plusieurs échoppes vendent le complet nécessaire du consommateur de cannabis. Des objets destinés à la consommation de cocaïne et d’héroïne sont également en rayon. Dans de nombreux coffee-shops, des graines destinées à la culture de plants de marijuana sont en vente libre.

La ruée vers l’or vert de milliers de résidents allemands, belges et français a poussé les autorités à mettre en place diverses mesures. Pour accéder à un coffee-shop, chaque visiteur est ainsi

invité à présenter une pièce d’identité. Le document est scanné et stocké dans un serveur à disposition des forces de police. La vente de haschich et de marijuana est limitée à cinq grammes par client. Une simple application de la loi néerlandaise : la détention de drogue douce est répréhensible au-delà de cette quantité.

Cent grammes pour 2 500 euros

Si la plupart des narco-touristes viennent consommer du cannabis, Maastricht est devenue une véritable plaque-tournante du trafic de cocaïne, d’héroïne et d’ecstasy. Liée à la politique talibane de culture intensive de pavot en Afghanistan, la baisse des cours de l’héroïne a multiplié offre et demande. Au centre-ville et en périphérie, de nombreux dealers sollicitent les narco-touristes. A un feu rouge, deux jeunes hommes à bord d’une berline immatriculée en Belgique invitent les automobilistes étrangers à s’arrêter, puis à rejoindre le parking d’une cité- dortoir. Pour 10 grammes d’héroïne, les dealers exigent 300 euros. Un prix assez élevé, le gramme pouvant chuter sous la barre des dix euros. Conditionnée avec minutie dans un ballotin de plastique, la marchandise peut être livrée dans un délai de quinze minutes. Le client propose une cession plus importante : 100 grammes pour 2 300 euros, soit plus de la moitié du prix de vente sur le territoire français. Les fournisseurs se montrent surpris. Ils n’en sont pas moins intéressés et fixent le prix du deal à 2 500 euros. L’acheteur est généreux : pour des quantités importantes, le prix du gramme d’héroïne peut tomber à quinze ou dix euros. Rendez-vous est pris le lendemain, sur un parking d’une zone artisanale de Maastricht. De nombreux deals sont également effectués dans des appartements où les acheteurs peuvent passer du “bon temps” avant de quitter les lieux.

Acheter de l’héroïne en importante quantité à Maastricht est un jeu d’enfant. Les héroïnomanes de l’Est de la France ont fait de cette ville un véritable pôle d’approvisionnement. Limitée face à l’ampleur du trafic, la présence policière participe à la prospérité d’un marché de gros à ciel ouvert.

 

La misère à l’état brut

Liège. «Vous cherchez des toxicomanes… Regardez cet homme assis devant l’entrée. Ici, des toxicos, il y en a partout.» Ou presque. A Liège, la population a appris à cohabiter avec plusieurs centaines de toxicomanes errant dans les artères du centre-ville. Cols blancs et touristes croisent junkies et routards. Peuplée de 190 000 habitants, Liège compterait, selon les estimations, entre 800 et 3 000 résidents sujets à des problèmes de toxicomanie. Un médecin sur cinq traite un ou plusieurs patients en situation de dépendance. Le mal est profond. A défaut d’être incurable.

Cœur de la capitale économique de la Wallonie, la place Saint-Lambert accueille de nombreux malades en situation avancée de déchéance physique, psychologique et psychique. Cette “scène” est au quotidien le théâtre des délires et souffrances de centaines de toxicomanes. Déployées en nombre, les forces de l’ordre veillent sur une population en extrême situation de dépendance. Face à une hausse spectaculaire du nombre de toxicomanes échoués à quelques kilomètres de Maastricht, Willy Demeyer, bourgmestre de Liège, a choisi de développer une politique volontariste basée sur une collaboration aboutie entre acteurs des volets médical, judiciaire et social. Les autorités liégeoises ont ainsi multiplié les initiatives afin d’apporter des réponses adaptées à des centaines de toxicomanes aux visages et corps cadavériques. En parallèle d’un soutien humain et logistique aux forces de l’ordre, la construction de centres de soins et l’administration de méthadone et autres produits de substitution ont été privilégiés. Afin de lutter contre les hépatites B et C, divers modes de distribution de seringues ont également été mis en place. Appliquée en Allemagne et aux Pays-Bas, la mise à disposition d’espaces réservés à l’injection d’héroïne et de cocaïne a fait l’objet de nombreuses réflexions. Si cette alternative n’a pas été retenue, les autorités liégeoises étudient de nombreuses pistes.

La délivrance contrôlée d’héroïne à l’étude

Développée dès 1998 aux Pays- Bas, la distribution d’héroïne aux toxicomanes en situation d’extrême dépendance pourrait compléter le panel de réponses à un véritable fléau. L’état d’intoxication d’une minorité de toxicomanes réduisant les effets de la méthadone et de la buprénophine, Willy Demeyer a franchi obstacles psychologiques, éthiques, politiques et financiers en interpellant le gouvernement fédéral. Un projet pilote de délivrance contrôlée d’héroïne pourrait prochainement être mis en place. L’Université de Liège mène actuellement plusieurs études visant à juger de l’opportunité de cette alternative. Entre prévention auprès des jeunes publics et mesures d’accompagnement de polytoxicomanes en situation extrême de dépendance, les autorités liégeoises multiplient les champs d’action afin de juguler les ravages d’un problème sociétal révélateur du mal être de milliers d’hommes et femmes. Autant de malades réduits à vivre au rythme de leur dépendance.

 

«La situation profite au crime»

Responsable de l’Observatoire liégeois de prévention et de concertation sur les drogues, Sophie Neuforge est au cœur du dispositif mis en place dans la province de Liège. Cette spécialiste met en évidence les incohérences entre les différentes législations européennes.

Journal de la Haute-Marne : La présence d’un important nombre de toxicomanes errant dans les rues de Liège saute aux yeux. Disposez-vous d’indicateurs précis permettant de mesurer les ravages de la toxicomanie ?

Sophie Neuforge : La province de Liège compte un million d’habitants, dont 190 000 résident à Liège. Les personnes suivant un traitement de substitution à la méthadone composent la seule population quantifiable. Un recensement officiel permet de savoir que la province de Liège comptait, en 2007, 2 093 personnes suivant un traitement de substitution. Nous observons depuis une très légère diminution du nombre de patients sous traitement. Appréhender le nombre total d’usagers de drogues et distinguer les différents degrés de dépendance à tel ou tel produit est impossible. En extrapolant, on peut considérer que 6 000 habitants de la province de Liège rencontrent de graves problèmes de toxicomanie. La ville de Liège concentre une grande partie des toxicomanes. Tous les dispositifs d’aide et de soins sont concentrés dans cette ville. Le trafic y est également beaucoup plus développé. Parmi la population toxicomane liégeoise, nous notons la présence d’un noyau dur. Ces personnes sont en situation de polytoxicomanie extrême. Ce noyau compterait 100 à 150 personnes. Ces toxicomanes mobilisent d’importants moyens.

JHM : La France est confrontée à une importante hausse de la consommation de drogues dures. Notez-vous une augmentation de la population toxicomane liégeoise ?

S. N. : Selon plusieurs données, le nombre d’usagers de drogues dures reste stable et la moyenne d’âge des toxicomanes augmente. Ces signes sont positifs. Une très grande diversité de soins et de traitements a été mise en place. Des toxicomanes français viennent se faire soigner en Belgique ! L’accès aux traitements de substitution est facilité. En matière de prévention, des gros efforts ont également été consentis.

JHM : L’exemple liégeois prouve que la Belgique a su anticiper et prendre à bras le corps un véritable problème de santé publique. A quel moment cette prise de conscience est-elle intervenue ?

S. N. : Le problème a commencé dans les années 1980 et s’est progressivement intensifié. Entre 1990 et 1992, le nombre de toxicomanes a augmenté et ce constat s’est mêlé à d’autres facteurs d’insécurité. La population a exprimé son exaspération. A cette époque, le gouvernement a mis en place des plans de prévention. La puissance publique a développé des dispositifs d’aide et de soins complétant les actions du réseau associatif.

JHM : D’importants efforts ont été consentis, mais la toxicomanie frappe encore de nombreux malades. Compte-tenu de la proximité de Liège avec les Pays- Bas, considérez-vous que ce combat est vain ?

S. N. : Des représentants des autorités expriment cet avis… Les Européens n’ont pas de frontières. Les législations allemandes, françaises, belges et néerlandaises sont différentes et les moyens mis en place à destination de la lutte contre la toxicomanie sont également différents. A Aix-la-Chapelle (Allemagne) et Maastricht (Pays-Bas), des salles de consommation ont été mises en place. Ce n’est pas le cas à Liège d’où une présence beaucoup plus visible des toxicomanes. La législation nous interdit de recourir à cette alternative. Au niveau de la répression du trafic, les choses ne sont pas simples. Les policiers belges en faction dans les zones transfrontalières ont souvent l’impression de mener une lutte sans fin. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est mettre des cosmétiques sur tout ça, sans réellement changer le fond des choses. Il n’y a pas, à l’échelle européenne, un esprit de concertation. Des coopérations existent, mais la politique menée à Maastricht demeure extrêmement préoccupante pour de nombreux bourgmestres belges.

JHM : Quelles mesures pourraient permettre d’optimiser la lutte contre la propagation des stupéfiants ?

S. N. : A mon niveau, je pense qu’une politique concertée sur le plan social et sanitaire pourrait limiter l’ampleur du problème. De bonnes pratiques ont été mises en place dans les trois pays limitrophes. En ce qui concerne la répression, les Hollandais sont très efficaces en matière de lutte contre les mafias étrangères installées aux Pays-Bas. Chaque pays a à apprendre de ses voisins en matière de répression, de prévention et de prise en charge. Il serait bon d’harmoniser les législations sur des territoires distants de 20 km les uns des autres. Actuellement, la situation profite au crime et non aux malades.

 

Une traînée de poudre

De la Haute-Marne à la Hollande, il ne faut que quatre heures. L’A31 et son prolongement européen l’E25 font l’objet d’une surveillance toute particulière des forces de l’ordre des quatre pays traversés par cet axe de tous les trafics. Du particulier qui ramène quelques grammes pour ses week-ends aux “mules” convoyant des dizaines de kilos, on trouve de tout sur l’autoroute.

Chaumont. Les forces de l’ordre néerlandais, belges, luxembourgeoises et françaises sont au quotidien confrontés à la masse er l’ingéniosité de consommateurs et trafiquants convoyant des stupéfiants. En mois de quatre heures, des Haut-Marnais gagnent Maastricht, via Nancy, Metz, Luxembourg et Liège. Les axes rapides E 25 et A 31 font l’objet d’une surveillance accrue. La veille assurée par les forces de l’ordre est toutefois perfectible. Plusieurs centaines de milliers de véhicules transitent chaque jour sur un des axes majeurs d’échanges commerciaux européens. Policiers, gendarmes et douaniers de tous pays opèrent des contrôles réguliers. Si d’importantes saisies sont régulièrement enregistrées, les forces de l’ordre font face à une situation inextricable. Seul un contrôle systématique et rigoureux de l’ensemble des véhicules pourrait juguler le trafic de stupéfiants. Du touriste tout heureux de ramener au pays quelques grammes de cannabis remisés dans la boîte à gants, aux mules convoyant plu- sieurs dizaines de kilos d’héroïne confinés dans caches aménagées ou ingérés, les douaniers verbalisent et interpellent chaque semaine plusieurs centaines de contrevenants. De la simple amende à la rétention douanière, les mesures répressives varient selon les pays. Afin d’annihiler les efforts des autorités, des réseaux de trafiquants structurés font preuve d’un véritable sens de l’innovation. Les policiers belges, luxembourgeois et français ont ainsi interpellé des “drugs runners”. Partis de Maastricht, ces trafiquants écoulaient d’importants stocks de ville en ville. Des membres de réseaux structurés utilisent également des éclaireurs censés ouvrir la route aux conducteurs de véhicules chargés de stupéfiants.

La traînée de poudre se répand d’un bout à l’autre des axes E 25 et A 31. Liège, Luxembourg, Thionville, Metz, Nancy, Chaumont, Langres et Dijon sont autant de villes exposées à la proximité des Pays-Bas. La Haute-Marne et ses départements limitrophes sont particulièrement touchés par une hausse du nombre de toxicomanes accentuée par la baisse des cours de l’héroïne.

La situation en Haute-Saône traduit l’ampleur du phénomène. En avril 2009, les gendarmes haut- saônois saisissaient 6,5 kg d’héroïne à Luxeuil-les-Bains. Le 5 septembre, les militaires de la compagnie de Vesoul mettaient un terme à un trafic portant sur une quantité totale de 15 kg d’héroïne, quantité écoulée en l’espace de vingt mois. La drogue était achetée à Maastricht.

En Haute-Marne, douaniers, gendarmes et policiers démantèlent régulièrement de petits réseaux en arrêtant des consommateurs enchaînant les voyages à Maastricht. Acheté 20 euros aux Pays-Bas, le gramme d’héroïne est cédé au prix de 40 euros une fois acheminé en Haute-Marne. La proximité avec Maastricht permet ainsi à de nombreux toxicomanes de financer leur consommation. Les malades en extrême situation de dépendance consommant au quotidien trois à cinq grammes d’héroïne, l’ampleur du trafic de stupéfiants ne peut être occultée.

Selon diverses études, la France compterait 3,9 consommateurs de drogues dures pour 1 000 habitants. Ramenée à l’échelon départemental, cette donnée met en évidence la présence et la souffrance de plus de 700 toxicomanes. Pharmaciens – témoins d’une régulière hausse des administrations de produits de substitution, médecins et acteurs sociaux notent une graduelle accentuation d’un fléau révélateur des problèmes sociétaux.

Longtemps minorée, la présence de stupéfiants dans le département et les conséquences des situations de dépendance méritent une concertation fructueuse entre représentants de l’Etat, élus, acteurs sociaux, membres du corps médical, enseignants, policiers, douaniers et gendarmes

afin de dessiner les contours d’un triptyque “prévention-accompagnement-répression” susceptible de limiter une propagation de drogues dures et de répondre aux besoins de centaines de malades.

 

Vrai ou faux ?

La consommation de cannabis est plus importante aux Pays-Bas qu’en France…

Faux : La part d’adolescents et jeunes adultes âgés de 15 à 29 ans consommant du cannabis est moins importante aux Pays-Bas qu’en France comme l’indiquent plusieurs données statistiques. L’usage régulier (dix consommations au cours des 320 derniers jours) de cannabis concernerait dans l’Hexagone moins de 8 % des adolescents âgés de 17 ans, selon les données de l’Observatoire français des drogues et de la toxicomanie. Ce pourcentage peut atteindre et dépasser 50 % dans certaines zones géographiques. Malgré la présence de coffee-shops, seuls 6 % des Néerlandais âgés de 15 à 29 ans concèdent consommer régulièrement du cannabis.

Le cannabis n’entraîne pas de dépendance…

Faux : Un usage de cannabis quotidien peut entraîner une dépendance psychologique chez certains consommateurs. Cette probabilité de dépendance augmente avec la quantité consommée, la durée et la fréquence de la consommation. Commencer à fumer du cannabis très jeune augmente le risque de dépendance.

Le cannabis est de plus en plus puissant…

Vrai : Le delta-9-tétrahydrocannabinol (THC), est la molécule la plus connue contenue dans le cannabis. Le tétrahydrocannabinol possède un caractère psychotrope. La teneur en THC ne cesse d’augmenter dans maruijuana et haschish. L’analyse de certains échantillons révèle des taux de THC supérieurs à 25 %. La teneur varie, selon les produits, de 4 à 35 %. Selon plusieurs études, le taux moyen de THC relevé dans des échantillons “témoins” aurait doublé ces dix dernières années. Cette situation découle des travaux des producteurs de cannabis. Ces derniers ont développé des produits surpuissants afin de varier leur offre et de répondre à la demande d’une clientèle à la recherche d’effets démultipliés. La hausse du taux de THC multiplie les risques psychologiques de déficiences cognitives et problèmes respiratoires.

Le cannabis est un produit dangereux…

Vrai : Une concentration élevée en THC, une consommation quotidienne et importante et le mélange avec d’autres produits peuvent faire du cannabis une drogue particulièrement dangereuse. Les effets secondaires peuvent poser de réels problèmes : perte temporaire de mémoire, diminution de la concentration, vertiges, somnolence… Chaque année, de nombreuses personnes se tuent au volant après avoir consommé du cannabis. Dans les faits, la consommation massive de cannabis est aussi dangereuse qu’une consommation inappropriée d’alcool.

Le cannabis mène à la consommation de drogues dures…

Faux et vrai : L’idée selon laquelle le cannabis mène automatiquement vers des drogues dures est un cliché sans fondement scientifique. Seule une petite minorité des consommateurs de cannabis passe à d’autres drogues. Des facteurs comme la personnalité, les contextes de vie, des troubles psychologiques ou un mal être persistant contribuent à un passage vers une toxicomanie dure. Une réalité demeure : plus de 95 % des héroïnomanes ont eu un premier contact avec les stupéfiants via le cannabis.

L’héroïne entraîne une rapide dépendance…

Vrai : Qu’elle soit sniffée, fumée ou injectée, l’héroïne entraîne une rapide dépendance. L’héroïne provoque très rapidement l’apaisement, l’euphorie et une sensation d’extase. Cet effet immédiat de plaisir intense est suivi d’une sensation de somnolence, accompagnée parfois de nausées, de vertiges et d’un ralentissement du rythme cardiaque. Quand l’usage se répète, la tolérance au produit s’installe et le plaisir intense des premières consommations diminue irrémédiablement. En quelques semaines, le consommateur ressent le besoin d’augmenter la quantité et la fréquence des prises. La vie quotidienne tourne alors autour de la consommation du produit.

Se désintoxiquer est un combat long et fastidieux…

Vrai : Qu’ils se basent sur un sevrage assisté ou la délivrance de produits de substitution, les traitements visant à désintoxiquer un héroïnomane sont perfectibles. Dix ans après leur dernière prise, des héroïnomanes ressentent toujours un manque. Sevrés, les malades n’en demeurent pas moins dépendants.

Sur le même sujet...

Reconnu coupable d’agression sexuelle, il écope de 36 mois de prison dont 12 mois avec sursis
Abonné
Langres
Reconnu coupable d’agression sexuelle, il écope de 36 mois de prison dont 12 mois avec sursis
Tribunal correctionnel

Un homme de 38 ans a comparu détenu mardi 23 avril devant le tribunal judiciaire de Chaumont, pour agression sexuelle sur sa compagne dont il était une nième fois séparé(...)

Gifles à son épouse, avant de la poursuivre : « j'étais dans un tourbillon »
Abonné
Chaumont
Gifles à son épouse, avant de la poursuivre : « j’étais dans un tourbillon »
Tribunal correctionnel

Un quadragénaire a comparu devant le tribunal correctionnel pour violences conjugales, lundi 22 avril. Fini, le verbe, sa colère explosive s’était notamment traduite par des gifles à son épouse, le(...)

Violences aggravées sur sa mère : « je ne me croyais pas capable de faire ça »
Abonné
Valcourt
Violences aggravées sur sa mère : « je ne me croyais pas capable de faire ça »
Tribunal correctionnel

Une fille à laquelle des faits de violences aggravées sur sa mère sont reprochés. En récidive. À qui la justice a proposé un encadrement pour se libérer d’addictions délétères. À(...)