Soulaines : 30 ans de déchets radioactifs aux portes de la Haute-Marne
Alors que la demande d’autorisation de création de Cigéo doit être déposée dans les jours qui viennent, zoom sur un autre site majeur de l’Andra, à Soulaines : le centre de stockage de l’Aube. Depuis maintenant 30 ans, des déchets radioactifs français de faible et moyenne activité à vie courte y sont stockés en surface.
C’est au bout d’une longue route qui serpente dans la forêt auboise, à quelques kilomètres seulement de la frontière haut-marnaise, que se niche un site unique en France : le centre de stockage de l’Aube (CSA). Depuis 30 ans, l’Andra y stocke des déchets radioactifs de faible et moyenne activité à vie courte.
« Deux critères ont permis de sélectionner le site : la géologie et le niveau d’acceptation locale du projet »
C’est en juin 1984 que le gouvernement décide de créer un nouveau centre de stockage, celui de la Manche devant arriver à saturation dans les années qui suivent. Dès le mois d’octobre suivant, des recherches sont lancées dans la Vienne, dans l’Indre et dans l’Aube pour trouver le site idéal. Un an et demi plus tard, en juin 1986, le choix s’arrête sur l’Aube, sur un terrain de 95 ha, à cheval sur les communes de Soulaines, Epothémont et Ville-aux-Bois.
« L’argile ralentit la migration des radioéléments »
« Deux critères ont permis de sélectionner le site de Soulaines : la géologie et le niveau d’acceptation locale du projet », explique Patrice Torres, directeur du CSA pour l’Andra. « Le sol est constitué de sables et d’une couche d’argile qui protègent les nappes phréatiques. L’argile permet en effet de ralentir la migration des radioéléments. »
Les choses sont ensuite allées très vite : enquête publique en juin 1986, décret d’autorisation de création en septembre 1989 et début des travaux dans la foulée, puis autorisation de mise en service en décembre 1991. Et dès le mois suivant, les premiers colis de déchets arrivaient sur le site de Soulaines.
« A l’époque, on imaginait avoir stocké le million de mètres cubes de colis autorisés en 30 ans », ajoute Patrice Torres. « Ça fait 30 ans, et on est à 36,3 %… Selon les prévisions établies avec les producteurs de déchets, on devrait fêter les 80 ans du site ! » Soulaines pourrait donc être exploité pendant 50 ans encore.
Plus de 8 000 colis stockés en 2021
Et ensuite ? Comme le centre de stockage de la Manche qu’il a remplacé, le CSA sera fermé. Les ouvrages de stockage seront recouverts et le site entrera en phase de surveillance pour une durée de 300 ans.
Mais en attendant, le site de Soulaines poursuit son activité. En 2021, 11 131 m3 de déchets ont été livrés au CSA et 9 927 m3 stockés, soit 8 097 colis mis en stockage définitif.
Car au CSA, contrairement au futur centre Cigéo, « il n’y a pas de notion de réversibilité ou de récupérabilité (possibilité de retirer les colis du stockage, Ndlr) », conclut Patrice Torres. « Au bout des 300 ans de surveillance, la radioactivité des déchets aura fortement diminué. Les colis resteront donc là et on ne fera plus rien. »
Dossier réalisé par Pierre-Julien Prieur
Le Centre de stockage de l’Aube en chiffres
1 000 000. C’est en mètres cubes, le volume autorisé de colis de déchets radioactifs à stocker au CSA, à Soulaines.
416 395. Nombre de colis de déchets radioactifs de faible et moyenne activité à vie courte déjà stockés à fin 2021.
156. En 30 ans d’exploitation, 156 ouvrages bétonnés de 25 m de côté pour 8 m de haut, ont été remplis de colis de déchets et refermés.
Entre 40 et 45. En moyenne, le CSA dégage un chiffre d’affaires annuel de 40 à 45 millions d’euros.
7 000. En moyenne, le coût du stockage de déchets radioactifs à Soulaines est de 7 000 euros/m3, financés par les producteurs de déchets, selon le principe “pollueur – payeur”. 98 % des déchets sont produits par EDF, Orano (ex-Areva) et la Commissariat à l’énergie atomique (CEA).
Entre 4 500 et 5 000. Chaque année, entre 4 500 et 5 000 personnes visitent les installations du CSA.
69 %. Selon une enquête réalisée par Occurrence auprès de 562 personnes, entre décembre 2021 et février 2022, 69 % des riverains résidant à moins de 15 km du CSA font confiance à l’Andra. Entre 15 et 30 km, ils sont même 74 %.
Le saviez-vous ?
Les déchets radioactifs de faible et moyenne activité à vie courte stockés à Soulaines, au CSA, représentent 59,6 % du volume total des déchets radioactifs en France, mais seulement 0,03 % de leur radioactivité ! A titre de comparaison, les déchets de haute activité destiné à Cigéo représentent 0,2 % du volume total, mais 94,9 % de la radioactivité !
Une surveillance étroite de l’environnement
Le stockage de déchets radioactifs n’est pas une activité anodine. L’Andra doit donc s’assurer en permanence que l’exploitation du CSA ne modifie pas l’environnement. « Pour évaluer l’impact radiologique de notre activité sur l’environnement, nous effectuons des prélèvements et des analyses dans tous les domaines : eau, air, végétation, gibier, poissons, ou encore le lait et le miel produit aux alentours…
Chaque année, nous réalisons plus de 2 500 prélèvements pour environ 14 600 analyses », souligne Patrice Torres, directeur des centres de l’Aube de l’Andra. « Aujourd’hui, notre impact est de l’ordre du millionième de la radioactivité naturelle. »
Mais à l’inverse de Cigéo, qui vient de lancer Osarib pour établir un état sanitaire de la population riveraine avant la création du stockage, rien de similaire n’a été fait il y a 30 ans pour le CSA. Pas d’état sanitaire zéro, donc, mais la Commission locale d’information de Soulaines porte depuis 2019 un dispositif pour suivre la santé des riverains dans le temps, avec l’ARS et Santé publique France.
« A l’Andra, on est tout à fait favorable à ce que ce type de suivi existe. Cela évite que tout le monde ne raconte ce qu’il veut… » Référence à peine masquée à Michel Guéritte, opposant historique au CSA qui dénonce un nombre de cancers plus important qu’ailleurs autour du centre de stockage.
L’Andra dans l’Aube, c’est aussi le Cires et son projet Acaci
C’est une spécificité française. Aucun autre pays au monde ne considère les déchets de très faible activité comme des déchets radioactifs. Il n’y a donc qu’en France qu’ils sont pris en charge, et c’est au Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires) que ça se passe. A quelques kilomètres de Soulaines, sur un terrain de 46 ha (dont 30 pour la zone de stockage), sur les communes de Morvilliers et La Chaise, le Cires prend en charge ces déchets au niveau de radioactivité minime.
Depuis 2003, 487 904 colis y sont stockés, dans des alvéoles de 176 m de long et 26 m de large, creusées dans l’argile à 8,5 m de profondeur. Une fois pleine, l’alvéole est fermée par une couche de sable, une membrane en polyéthylène pour assurer l’imperméabilité et par un géotextile résistant aux rayonnements UV. Le tout est ensuite recouvert d’argile pour garantir le confinement à long terme. Contrairement au CSA, le Cires met en place la couverture définitive de ses alvéoles au fur et à mesure qu’elles sont remplies.
Prolonger l’exploitation du Cires de 10 ou 15 ans
Mais le Cires arrive déjà presque à saturation. « Le Cires dispose d’une autorisation pour stocker 650 000 m3 de colis de déchets. Fin 2020, nous sommes environ à 63 %. Selon les prévisions, le volume total autorisé devrait être atteint en 2029, mais seulement deux des trois zones de stockage prévues seront nécessaires », explique Selma Tolba, cheffe du service communication des centres de l’Aube de l’Andra. « Le projet Acaci (pour Augmentation de la capacité de stockage autorisée du Cires, Ndlr) vise à passer à 950 000 m3 autorisés, en utilisant la troisième zone de stockage. » Ainsi, l’exploitation du Cires serait prolongée de 10 à 15 ans. Le dossier de demande d’autorisation doit être déposé début 2023.
Le stockage des déchets radioactifs : comment ça marche ?
En 2021, plus de 11 000 m3 de déchets radioactifs ont été pris en charge au Centre de stockage de l’Aube (CSA), à Soulaines, selon une procédure stricte, appliquée depuis 30 ans. Présentation.
Stocker des déchets radioactifs n’est pas tout à fait une activité industrielle comme une autre. Le CSA applique un protocole strict à tous ses employés, ainsi qu’à tous les travailleurs qui interviennent sur le site, à commencer par les chauffeurs routiers. « Les colis de déchets arrivent par voie routière, directement depuis leur site de production », explique Patrice Torres, directeur du CSA. Au début de l’exploitation, des colis arrivaient par trains, via le terminal ferroviaire de Brienne-le-Château, avant d’être transbordés sur des camions pour rallier Soulaines.
Des contrôles stricts dès la réception des camions
Et dès leur arrivée sur le centre, les camions subissent une série de contrôles. Administratif, pour s’assurer qu’il s’agit bien du camion attendu, et radiologiques pour vérifier que l’ensemble routier n’est pas contaminé. Si tout va bien, le camion est envoyé dans une zone de transit pour la vérification des colis. « On doit s’assurer qu’ils remplissent bien toutes les conditions d’admissibilité que l’Andra a transmis aux producteurs », souligne Patrice Torres. Des contrôles radiologiques, essentiellement, pour vérifier le bon confinement des déchets, mais qui peuvent être approfondis, en découpant le colis pour contrôler la nature des déchets.
L’Andra peut suspendre les livraisons d’un producteur
« Au moindre écart avec le cahier des charges fournis, une déclaration est faite à l’Autorité de sûreté nucléaire et on évalue les risques de cet écart, avant de mettre en œuvre les mesures de confinement nécessaires. Et tant que l’erreur n’est pas corrigée, on suspend toutes les livraisons de ce producteur », insiste le directeur du CSA. Mais les écarts sont rares, et les camions qui arrivent à Soulaines sont le plus souvent dirigés directement vers l’ouvrage où doivent être stockés les colis qu’ils transportent.
Traçabilité totale de chaque colis
Là, chaque colis est agrippé par une grue, passé devant un appareil qui va lire son code-barres afin d’enregistrer sa carte d’identité (provenance, contenu, emplacement précis…) et déposé à son emplacement final, dans un ouvrage bétonné ou gravillonné (lire ci-contre). Et ainsi de suite… En 2021, 1 086 camions transportant 17 287 colis ont ainsi été accueillis à Soulaines.
A l’abri des intempéries
Au CSA, plusieurs ouvrages sont exploités en même temps. Ils sont facilement repérables à l’une des cinq charpentes mobiles qui les surplombe, car le remplissage des ouvrages doit se faire à l’abri des intempéries. Une fois la ligne de cinq ouvrages remplie, la charpente est déplacée sur rail vers une autre ligne, qui peut à son tour être exploitée.
Une surveillance de 300 ans
Une fois l’ensemble des ouvrages remplis, dans une cinquantaine d’années, toutes les lignes seront recouvertes. Une structure expérimentale, sur le site du CSA de Soulaines, permet d’ailleurs à l’Andra d’étudier sept couvertures différentes. L’Autorité de sûreté nucléaire devra choisir la plus performante sur le long terme. S’ouvrira alors une période de surveillance de 300 ans, le temps pour la radioactivité de décroître jusqu’à atteindre un niveau proche de la radioactivité naturelle.
Un confinement à trois barrières
Le stockage des déchets radioactifs n’a pas été pensé pour être un coffre-fort, duquel aucune radioactivité ne s’échappera jamais. Le but, c’est de retarder au maximum la diffusion des radioéléments dans l’environnement. Pour cela, une triple barrière a été imaginée autour des déchets de Soulaines.
Le colis. Le premier élément de confinement de la radioactivité des déchets, c’est le colis. En béton ou en métal, il ne contient que 20 à 30 % de déchets, noyés dans un matériau d’enrobage type mortier.
L’ouvrage. Construits en béton ferraillé, les ouvrages assurent la deuxième barrière de confinement. A la fin de l’exploitation, ils seront surmontés par une couverture définitive, dont le rôle est d’éviter toute infiltration d’eau.
Le milieu géologique. Bien que le stockage des déchets soit en surface à Soulaines, la composition du sous-sol est très importante. La couche d’argile, imperméable, sur laquelle le CSA est installé, va permettre de protéger les nappes phréatiques situées en dessous, en cas de défaillance des deux premières barrières. On n’est jamais trop prudent…
Deux types d’ouvrages distincts
Au CSA, à Soulaines, deux types d’ouvrages sont utilisés. Si, de l’extérieur, il s’agit dans les deux cas de cubes de béton ferraillé de 25 m de côté pour 8 m de haut, la façon de stocker les déchets à l’intérieur est différente.
Les ouvrages gravillonnés. Ce sont les ouvrages destinés à accueillir les colis en béton. De forme cylindrique ou cubique, les colis sont empilés les uns sur les autres jusqu’en haut de l’ouvrage. Une fois l’ouvrage plein, les espaces vides sont comblés avec du gravier, pour assurer le blocage des colis. L’ouvrage est ensuite refermé par une couche de béton ferraillé.
Les ouvrages bétonnés. Ils sont dédiés aux colis métalliques. Lors du remplissage, un premier niveau de colis est déposé, puis une couche de béton est coulée par-dessus pour refaire un plan lisse sur lequel sera déposé un deuxième niveau de colis et ainsi de suite jusqu’en haut de l’ouvrage, qui, lui aussi, sera refermé par une couche de béton ferraillé.
« Le conditionnement des déchets en colis en métal ou en béton dépend de la puissance de la radioactivité, du type de radionucléides et leur propriétés physico-chimiques », explique Selma Tolba, cheffe du service communication des centres de l’Aube.
En surface, mais pas seulement…
Au CSA, les colis de déchets radioactifs sont stockés en surface. Mais pour assurer la sécurité du stockage, il y a aussi de l’activité dans le sous-sol. Juste en-dessous des ouvrages, des kilomètres de galerie ont en effet été creusées. Des galeries baptisées en toute simplicité “réseau séparatif gravitaire enterré”. « C’est un système de surveillance qui permet de collecter l’eau qui se serait infiltrée dans les ouvrages, signe qu’on aurait un problème d’étanchéité », explique Patrice Torres. A l’issue des 300 ans de surveillance du site de Soulaines, ces galeries devraient être rebouchées.
Au CSA, on compacte les colis de déchets !
A Soulaines, 80 % des colis de déchets qui arrivent au CSA sont prêts à être stockés dans les ouvrages. « Mais certains déchets sont conditionnés in situ », précise Selma Tolba, cheffe du service communication des centres de l’Aube. « On réceptionne des fûts de 200 litres avec quelques déchets dedans, mais sans le mortier de confinement, et on les compacte pour en faire des galettes, qui seront empilées dans des fûts de 450 litres. » Reste ensuite à couler du béton à l’intérieur et à envoyer les colis ainsi reconditionnés vers les ouvrages bétonnés.