Se raconter dans une biographie : l’opportunité de revaloriser sa vie
Ils sont nombreux à solliciter Gaëlle Dargier pour qu’elle rédige leur biographie. S’ils espèrent laisser une trace derrière eux, remonter le temps en s’autorisant une expression authentique, ils découvrent que derrière une banalité apparente, leur vie a ressemblé à « quelque chose ».
« Il y a plusieurs motifs à vouloir faire réaliser sa biographie ». Gaëlle Dargier les a recensés. « On est pris de l’envie soudaine de faire le point sur sa vie ». Ou bien « on veut transmettre son histoire ». À moins qu’on entende « témoigner de ce qu’on a vécu ». Depuis quatre ans qu’elle est biographe, des jeunes gens qui souhaitent raconter leur tour du monde, Gaëlle n’en a pas vus. Au total, le plus souvent, c’est la volonté de « laisser une trace » qui anime ses clients. Même s’il arrive qu’on lui demande de « réaliser une biographie pour son papy, qui va avoir 90 ans ».
Rester un peu
Certes, cette idée de figer son empreinte dans son sillage germe plutôt chez des gens qui se rapprochent de l’échéance de leur existence -et il arrive qu’elle approche à grands pas. Ils espèrent « soulager leur âme avant de mourir ». Alors que leurs forces déclinent, « ils donnent l’énergie qu’il leur reste pour mener à bien leur projet ». À la clé de cet effort incommensurable, la terminaison du livre de leur vie leur procure de la « sérénité ». Conjointement, Gaëlle constate qu’ils cherchent à « apaiser les chagrins » que leur disparition va engendrer. Une biographie permet de « survivre à la mort », bref, c’est rester un peu.
« On est finalement impressionné par ce qu’on a fait »
« Mes clients tiennent à l’authenticité de leur récit de vie, ils se refusent à remanier leur parcours, à le romancer ». Des faits bruts, rien que des faits bruts, aux airs d’aveux… à eux-mêmes. « SI demander une biographie permet de se relier aux autres, c’est valable pour soi », résume Gaëlle. Recoller aux autres lorsqu’au fil du récit qu’on lui fait, on comprend enfin pourquoi Tonton exigeait qu’on éteigne systématiquement la télévision lorsqu’un film américain était diffusé. Son malaise, la gêne silencieuse de la famille, voilà que l’aspirant biographié décode tout. Il comprend que la fureur de Tonton correspondait à la réactivation automatique du « soldat américain qui lui avait piqué sa copine, par exemple ». Or, poursuit-elle, le biographié qui n’a jamais osé poser une seule question se débarrasse ainsi de l’oppression du couvercle qui l’a étouffé tant de fois. L’opportunité de « se relier à soi », maintenant. « On croit que sa vie a été banale. Or, au fur et à mesure où l’on déroule la pelote, on réalise que la laine se transforme en soie. On est finalement assez impressionné de ce qu’on a fait. Ça revalorise sa vie ».
Cent heures de travail
« Pour une vie complète, j’ai besoin de dix à douze heures d’entretien, qui n’excèdent pas 1 h 30, maximum. Et qui se traduisent pour moi par 100 heures de travail ». Gaëlle s’applique à espacer les rencontres de quinze jours. Un entretien bouscule, aussi entend-elle que son client « digère ». Le cadre du travail d’élaboration de la biographie fait l’objet du premier entretien, il s’agit de « poser des jalons dans l’espace, dans le temps, d’établir l’intention du client, de lui rappeler qu’il est hors de question qu’il règle ses comptes ou qu’il se montre diffamant ». Gaëlle peut alors bâtir sa « trame éditoriale ». Au fil de l’élaboration de la biographie, elle laisse son client libre de son récit, demande des éclaircissements, et maîtrise la durée des silences, qui, s’ils offrent une respiration, peuvent aussi témoigner d’un embarras, qu’elle doit aider à dissiper.
Gaëlle y laisse… des plumes
« De chaque entretien, je rentre lessivée ». Reste que cet épuisement émotionnel, Gaëlle l’accepte sans sourciller, au regard de tout ce que la rencontre lui apporte. Des plumes, elle en laisse toutefois en chemin. Parmi tous ses biographiés, il y a eu seulement deux femmes, qui savaient que la Camarde rôdait obstinément. « D’ici cinq à dix ans, j’aimerais me former dans un service de soins palliatifs de l’univers hospitalier ». Gaëlle sait qu’avec de interlocuteurs extrêmement affaiblis, les entretiens seront très, très brefs. Nécessitant déjà de sa part encore plus de résistance à l’émotion.
En tout cas, aujourd’hui, la biographe native de Chaumont, qui a grandi à Lachapelle-en-Blaisy, où sa curiosité pour les histoires des Anciens était une marque de fabrique, ne regrette pas d’avoir osé quitter son emploi d’assistante de direction. « Éponge » face aux confidences de ses interlocuteurs, elle s’en « nourrit » et ça lui va bien.
Fabienne Ausserre
f.ausserre@jhm.fr
« Ma première cliente avait 27 ans »
Alors que la grande majorité des personnes qui ont recours aux services de Gaëlle sont entrés dans la dernière partie de leur existence, sa première cliente avait, pour faire court, la vie devant elle. À condition de surmonter le souvenir et les séquelles d’une épreuve. À 27 ans, la demoiselle avait perdu son meilleur ami dans un accident de la route. Elle-même avait laissé un bras dans ce drame. « Elle souhaitait boucler son deuil, livrer sa vérité sur ce qu’il s’était passé, et délivrer un message de prévention routière ». Le chauffeur du véhicule accidenté était en effet sous l’empire de l’alcool. Or, aucun de ses amis ne l’avait remarqué. Aujourd’hui encore, la jeune femme veut expliquer aux jeunes gens que l’ivresse passe parfois sous les radars de son entourage.