Saint-Dizier : à la découverte d’une tranchée-abri de la guerre de 1914
Sous l’esplanade de la gare de Saint-Dizier, une tranchée-abri de la première Guerre mondiale est restée en l’état depuis un peu plus d’un siècle. Elle faisait partie d’un plus vaste réseau de défense contre les bombardements aériens.
Vous l’avez peut-être remarquée en allant prendre votre train ou en vous baladant derrière le monument aux morts. Sur l’esplanade de la gare, entre les platanes, une dalle de béton dessine un zigzag sur le sol. Contrairement à ce que beaucoup imaginent, il ne s’agit pas d’une simple décoration, mais d’une tranchée-abri de 1917 (et non de 1939, comme l’affirme un livre sur l’histoire de la ville).
Des carnets quotidiens
Si très peu d’informations circulent sur ce patrimoine de guerre, les écrits de Henri Darcémont, apportent quelques précisions. Directeur de l’école Gambetta durant la première Guerre mondiale, le Bragard a rempli des carnets, entre 1914 et 1919, dans lesquels il raconte le quotidien des habitants de la ville.
Recensement des caves voûtées
C’est en juin 1916, constatant la multiplication des passages d’avions ennemis au-dessus de la ville, que le maire prend un arrêté créant une commission municipale chargée de recenser les caves voûtées susceptibles de servir d’abri contre les bombardements. Plusieurs sont alors identifiées, mais, comme le souligne Henri Darcémont, les Bragards n’en sont pas forcément friands.
« Une imprudence qui risque de coûter cher »
Le 10 novembre 1916, « à 1 h 45 de l’après-midi, la sirène installée sur le pignon de l’Hôtel de ville se mit à faire entendre sa voix aiguë, stridente et saccadée, prévenant la population que des appareils ennemis avaient franchi les lignes et se dirigeaient sur notre ville. » Et l’instituteur d’ajouter : « On a pu constater, au cours de cette alerte, que beaucoup de personnes, au lieu de se mettre à l’abri dans leurs caves, se sont empressées de sortir dans la rue dès que la sirène s’est fait entendre. Voilà une imprudence qui risque de coûter cher. »
Prise de conscience après un bombardement
Dans les mois qui suivent, les alertes se multiplient. Les bombardements aussi. Mais les Bragards continuent à sortir dans la rue à chaque déclenchement de la sirène, espérant pouvoir observer l’avion ennemi. Il faudra attendre le 4 septembre pour que la population prenne pleinement conscience des risques. Ce jour-là, plusieurs bombes sont lâchées sur la ville, éventrant plusieurs maisons et causant d’importants dégâts.
« Le meilleur abri n’est qu’un simple retranchement étroit », une tranchée-abri
Un mois plus tard, le 3 octobre, le commissaire-régulateur de Rouvre, en charge de la défense militaire de la ville, prend un avis que rapporte Henri Darcémont dans ses carnets : « Le meilleur abri contre les bombes d’aéronefs n’est qu’un simple retranchement étroit. […] Si le retranchement ne doit recevoir qu’un petit nombre de personnes, il peut se réduire à un trou de 2 m de profondeur, 0.70 m de largeur, et 2 à 5 mètres de long auquel on accède par un escalier perpendiculairement à l’axe de la tranchée. […] Dans le cas où il serait nécessaire d’abriter un personnel assez considérable, le retranchement devrait avoir un plus grand développement en longueur : il serait alors tracé en zigzag. » Les tranchées-abri étaient nées.
4 000 journées de main d’œuvre militaire
Et celle de la gare, réservée aux militaires de la gare régulatrice, n’était pas la seule à Saint-Dizier. Dès le 4 octobre, les particuliers ayant un jardin sont invités à creuser leur propre tranchée-abri. L’armée propose également son aide pour créer des abris collectifs publics. Le 25 octobre, ce sont ainsi 4 000 journées de main d’œuvre militaire qui ont été fournies à la population pour la construction des abris.
« Encore un avion boche ! »
Et ils ont rapidement prouvé leur efficacité : aucun Bragard ne sera tué par les bombardements qui suivirent. Pas même celui du 19 juillet 1918, qui « dépasse en durée et en intensité tous ceux que Saint-Dizier a déjà subis », raconte Henri Darcémont. Cette nuit-là, « un ronflement de moteur se fait entendre ; encore un avion boche ! […] Il jette ses engins de destruction et de mort. […] A peine le 1er avion a-t-il accompli sa criminelle mission qu’un autre survient, puis plusieurs survolent en même temps la ville depuis le champ d’aviation jusqu’à Marnaval ; c’est une véritable nuée bruyante d’oiseaux malfaisants qui plonge dans l’effroi la population bragarde. » Le lendemain, il précise : « Fort heureusement, et comme par miracle, il n’y a pas de victimes dans la population, bien qu’une soixantaine de bombes au moins aient été jetées sur notre ville. »
Des longs corridors gris et froids
Il en sera ainsi jusqu’à la fin de la guerre. Depuis, la tranchée-abri de la gare (dont on ignore si elle a servi ou non durant le deuxième conflit mondial, n’a pas bougé. Recouverte de son épaisse dalle de béton, elle présente toujours ses longs corridors gris et froids. Et ce ne sont pas les travaux programmés du futur pôle d’échange multimodal qui sonneront sa destruction. La Ville a d’ores et déjà annoncé qu’elle conserverait ce patrimoine de guerre.
P.-J. P.