Roger Lemoine, de la vis de ciseaux à la machine-outil
À Mandres-la-Côte, la société Roger Lemoine achète partout des machines-outils d’occasion. Elles sont reconstruites, fiabilisées, puis revendues. Avant d’être un industriel respecté, Roger Lemoine est un personnage, apprécié.
Le bassin industriel nogentais plonge les racines de sa réputation dans l’Histoire. Il adosse celle-ci à son savoir-faire emblématique. Il offre au regard extérieur, curieux, dubitatif, des personnages, des gueules, des audacieux, des créateurs dans des registres multiples ; leur plus grand commun dénominateur est l’industrie, le travail du métal. Dans la cohorte bigarrée de ceux-ci, il faut inscrire “Roger Lemoine”.
Roger Lemoine a la pudeur des vrais modestes. Pour expliquer son parcours, il dit « j’ai eu de la chance ». Était-ce une chance de grandir au pied de la côte de Mandres ? Était-ce un avantage vraiment décisif d’être éduqué au sein d’une famille qui fabriquait des vis de ciseaux ? Était-ce un bon auspice que se lancer dans la vie d’adulte bien avant la majorité comme apprenti laborieux dans l’univers du décolletage pour les vis de ciseaux ?
La première vraie chance de Roger fut d’intégrer très tôt qu’il lui faudrait travailler pour s’en sortir. Il savait compter tout, sauf ses heures. Aussi reprend-il très tôt l’entreprise, après l’armée. L’entreprise, à l’époque, vivotait, notamment en assurant la fourniture de vis de ciseaux pour les forges nogentaises.
Sa seconde chance, sa qualité majeure, c’est son relationnel. Roger Lemoine est un personnage attachant, que l’on écoute et à qui on parle, qui vient vers vous et vers qui on retourne. Il favorise la rencontre. Des rencontres, donc, il en a fait, il en a provoqué. Elles balisent son chemin d’homme et d’entrepreneur. La première a sans doute eu lieu par hasard – le hasard a bon dos ! – en Haute-Savoie dans le monde du décolletage. Il connaissait – ô combien – le travail du métal ; il se lance dans le commerce des machines-outils qui transforment ce métal. Une machine, par hasard. Puis deux. Puis beaucoup.
Roger Lemoine est devenu un passionné de la machine. Mais plus que des machines d’occasion, il achète « des opportunités d’achat ». Il est le meilleur juge de l’opportunité en question. Puis il reconstruit la machine, dans l’usine de Mandres, qui a bien grandi. Cette machine qu’il a acquise, il la remet aux normes, surtout si elle est destinée au marché français, marché un peu plus sourcilleux que les autres… Elle sort comme neuve, résolument fiable. Tellement fiable qu’en plus de toutes les garanties légales, Roger Lemoine a inventé « la garantie morale ». Il l’écrit, à la main, sur la facture : “garantie morale”. Et là, l’acheteur qui le connaît est serein ; il sait que s’il advenait que la machine tombe en panne, Roger Lemoine viendra la réparer, viendra le dépanner. La signature du Mandrin volubile vaut tranquillité. Ce n’est pas un hasard si tant de machines de MetalTech sont passées par Mandres…
Certes, les temps ont changé. La poignée de main d’antan, qui valait de l’or, s’est transformée en contrats techniques de dizaines de pages. Les acheteurs des grands groupes s’intéressent désormais davantage à un dossier pdf qu’à une machine. Le service achats a pris le pas sur les services techniques. Et les nouveaux interlocuteurs sont gens pressés.
La société Lemoine réalise 10 % de son chiffre d’affaires en Haute-Marne, et autant à l’export. Aujourd’hui, il dispose d’un pont roulant d’une capacité de 30 t au sein de 3000 m². Ses deux bâtiments regorgent de machines qui ne sont que de passage, en cure de jouvence : des machines à commandes numériques, des machines spéciales, très spécifiques, qui n’intéresseront, une fois reconstruites, que très peu de monde. Ce « très peu de monde », c’est justement à Roger Lemoine de le trouver, à Nogent, en France, en Europe, ou de l’autre côté des océans. Il connaît tout le monde et tout le monde le connaît. Le relationnel, décidément…