Résiste… – L’édito de Patrice Chabanet
La grande faucheuse a la main lourde pour les chanteurs français. Un mois après Johnny Hallyday, elle a jeté son dévolu sur France Gall. L’émotion suscitée par sa disparition n’est pas la même, à l’image de sa discrétion. Elle n’en est pas moins intense. La petite Lolita du début avait su s’imposer dans son art par de judicieux choix musicaux, en évitant les pièges de la « peopolisation ». Michel Berger avait détecté en elle des qualités lui permettant de s’élever au-dessus des basses-eaux du yéyé. Celle qui avait chanté naïvement « Les sucettes », sans en comprendre le double-sens, accédait à des textes moins ambigus et servis par une rythmique entraînante. De la très bonne musique populaire qui se laisse facilement fredonner. Mais sa popularité ne se réduisait pas à son rôle d’artiste qu’elle avait su aussi déployer sur scène. Elle tenait en grande partie du courage qu’elle a manifesté lors d’événements cruels qui ont obstrué sa route : la disparition brutale de son mari, la découverte de son cancer du sein, le décès de sa fille. Ces tragédies ont donné une résonance toute particulière au titre de l’un de ses plus grands tubes, « Résiste ».
Son engagement humanitaire n’est pas pour rien non plus dans l’empathie qu’elle dégageait. Elle avait donné un contenu concret à son autre succès, « Babacar ». Depuis une vingtaine d’années, elle vivait dans une modeste maison sur une île proche de Dakar. Elle concentrait son énergie sur l’éducation des enfants africains. A des années-lumière du monde des paillettes qu’elle avait fréquenté pendant sa carrière professionnelle. C’est sans doute ce mélange de professionnalisme, de discrétion et de dévouement que l’on retiendra du personnage. France Gall avait su « résister » à la facilité. Une forme de rébellion en chantant. Encore faut-il avoir du talent. Elle en avait.