Relaxe citoyenne
Les citoyens assesseurs ont signé une entrée remarquée, lundi après-midi. Magistrats professionnels et simples justiciables ont, de concert, prononcé la relaxe d’un prévenu répondant de violences aggravées sur conjoint.
Chaumont, lundi 9 janvier 2012, 14 h 15, palais de justice : une nouvelle page s’écrit dans l’histoire de la juridiction. Quatre citoyens s’avancent à la barre. Vice-président du Tribunal de grande instance, le juge Mathieu invite femmes et hommes à prêter serment. Ignorer haine et méchanceté, faire preuve de probité… «Levez la main droite et dites je le jure» : les citoyens assesseurs s’exécutent. Deux suppléants peuvent vaquer à leurs occupations. Appelés à rendre justice, deux femmes prennent place aux côtés de trois magistrats professionnels. L’audience peut débuter, il est temps de scruter la vie des autres, ces simples mortels, ces âmes grises dont tant viendraient à ignorer l’existence, retranchés dans le train-train de grands bonheurs et petits tracas du quotidien.
Joël L. porte les stigmates de quarante ans d’alcoolisme. Rachitique, le visage miné, ce Chaumontais a commencé à boire à l’âge de 13 ans, en compagnie de son père. A des faits présumés de violence s’ajoutent deux circonstances aggravantes : présumé innocent, Maurice Le Quesnoy aurait, en état d’ivresse, porté des coups à sa conjointe. Le rappel des faits renvoie à une profonde misère sociale. Le 11 novembre au soir, le couple absorbe cinq litres de rosé. Au petit matin, les amants maudits partent se ravitailler dans un supermarché. Se déplaçant à l’aide d’une canne, la compagne de Maurice Le Quesnoy chute. Découverte à même le sol par policiers et sapeurs-pompiers, la femme a le visage tuméfié. Après avoir déclaré avoir été victime de plusieurs chutes, l’alcoolo-dépendante confiera avoir été frappée. Les maltraitances se seraient répétées durant de longues années. Maurice Le Quesnoy a ainsi été condamné courant 2011 pour des violences imposées à sa conjointe.
«Vous la forciez à parler de chutes»
D’une voix frêle, le prévenu faisait entendre sa vérité. «Nous étions alcoolisés, je ne me souviens pas avoir frappé. Elle est handicapée, comme moi, elle me frappait souvent avec sa canne lorsque nous nous disputions. Elle m’en veut, elle veut ma charger, elle veut également revenir, mais je ne le souhaite pas», témoignait le prévenu. Le président Mathieu faisait état de cruelles informations. «Entre novembre 2008 et novembre 2011, votre conjointe s’est présentée à treize reprises aux Urgences. Des certificats médicaux indiquent des tuméfactions, des contusions… Un médecin légiste a relevé des lésions anciennes et récentes et ces traces sont compatibles avec des coups ! Lors d’une confrontation, vous avez reconnu frapper régulièrement votre conjointe. Vous la forciez à parler de chutes», indiquait le magistrat.
Volontiers pédagogue, le procureur Prélot se lançait dans un dense et détaillé monologue avant de requérir une peine de douze mois de prison intégralement assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve, sanction complétée d’une interdiction d’entrer en contact avec la victime.
Assurant la défense du prévenu, Me Gromek livrait une information déterminante : la compagne de Maurice Le Quesnoy a été admise aux Urgences la veille de la survenance des coups présumés. Un traumatisme frontal et une plaie frontale avaient été diagnostiquées. L’avocate faisait également prévaloir un principe fondamental : en matière pénale, le doute doit profiter à l’accusé. Le tribunal se doit également de démontrer tout élément intentionnel. «Madame est-elle tombée, s’est-elle prise le bec avec une connaissance de beuverie ? Je n’en sais rien et vous non plus», lançait Me Gromek avant de solliciter la relaxe de son client.
Une heure s’était écoulée, juges professionnels et citoyens assesseurs pouvaient se retirer. Une demi-heure plus tard, le juge Matthieu prononçait la relaxe de Maurice Le Quesnoy. Le doute avait bel et bien profité au prévenu. Les citoyens assesseurs pouvaient retrouver leurs occupations habituelles, habités du noble sentiment d’avoir apporté leur pierre à l’édifice d’une justice citoyenne.
«Des mots simples»
Sans trahir le secret de leurs échanges avec les magistrats professionnels, Delphine et Christel, citoyens assesseurs, ont rempli avec rigueur et attention leurs nouvelles fonctions. «Les citoyens assesseurs peuvent siéger pour des affaires d’agression sexuelle sur mineur et nous nous attendions à une affaire plus sordide, a souligné Delphine, au terme de l’audience. Le parcours et le profil du prévenu ont été détaillés et nous avons pu prendre connaissance d’éléments figurant dans le dossier. (…) Au départ, je me suis dit “Pourquoi moi ?” J’ai mal dormi pendant une semaine, j’étais très stressée, mais tout c’est très bien passé, il y a eu une véritable concertation et le côté humain a été très présent. Nous avions appris que le doute devait profiter au prévenu lors de la journée de formation organisée au mois de décembre et j’ai donc compris la plaidoirie de l’avocate du prévenu !»
Christel affichait également un certain soulagement. «Les magistrats ont utilisé des mots simples, ils ont fait en sorte de se faire comprendre, a souligné l’intéressée. Quand j’ai reçu le courrier m’indiquant que j’étais retenue, j’ai tout d’abord vu une contrainte, une contrainte sanctionnée par 3 750 euros d’amende an cas d’absence ! Mon sentiment a changé, j’ai rempli mes responsabilités, de grosses responsabilités… Nous avons pu analyser la situation en toute sérénité.» Appelées à siéger à dix reprises dans l’année – volume maximal -, Delphine et Christel retrouveront le palais de justice le 13 mars en tant que suppléantes.
L’agréable surprise de Me Gromek
Me Gromek (avocate du prévenu) : «Compte-tenu de la présence de citoyens assesseurs, j’ai tenu à plaider les grands principes et le doute a profité au prévenu ! J’ai également indiqué que mon client devait être jugé pour les faits commis durant une période précise et non pour des faits antérieurs. Prêter serment et découvrir sur-le-champ la vie d’une personne en l’espace de vingt minutes, la vie d’une personne encourant cinq ans de prison, n’est pas facile… J’ai veillé à rappeler les règles de la procédure pénale, des règles différentes de celles évoquées dans les séries américaines diffusées à la télévision. Le délibéré n’a pas été très long, à ma grande surprise ! Les citoyens assesseurs ont pris leur rôle à coeur. Ce dossier n’était pas facile, ils ont réfléchi et analysé la situation, sans a priori. Je suis agréablement surprise et satisfaite de la relaxe de mon client.»