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Raphaël Enthoven ou « se satisfaire de ce que l’on a sous le groin »

Raphaël Enthoven a insisté sur les transitions permanentes qui existent depuis la nuit des temps.

Le philosophe Raphaël Enthoven est intervenu à l’assemblée générale de la coopérative EMC2. Particulièrement éloquent, il a abordé le sujets des transitions qui, selon lui, sont permanentes. Face à elles, il suffit de comporter bien.

Raphaël Enthoven s’est présenté comme quelqu’un qui ne connaît rien au monde agricole. Et justement, à ce titre et au moment où l’agriculture se transforme, sa réflexion est d’autant plus importante. Elle va contre les radicalités et les extrémismes qui monopolisent les débats.

Par contre, le philosophe dit côtoyer les agriculteurs tous les jours parce qu’il mange. Il les vénère pour cette chance d’autant plus qu’il enseigne la philosophie avec « les valeurs de nos racines ». Inévitablement, il se sent donc une proximité avec l’agriculture. Et comme tous les prismes de la société, il estime cette agriculture en transition et tout le monde doit se sentir concerné. « Nous en sommes les spectateurs engagés et il est mal venu de la critiquer ».

Des transitions permanentes

Raphaël Enthoven juge ces transitions souvent surévaluées. « Oui, tout change mais pas tant que ça » et il appelle à se méfier des « c’était mieux avant » qui traversent toutes les époques. « Nous vivons avec l’idée de la décadence. Or, nous passons d’équilibre en équilibre. Les chasseurs cueilleurs pillaient la nature mais un enfant sur deux mouraient à la naissance. Au néolithique, les élevages ont été créateurs de maladies mais les enfants survivaient. Au XVIIe siècle, le charbon de bois polluait mais les conditions de vie s’amélioraient. Au XXIe, le nucléaire est plus propre mais certains regrettent l’ancien temps… La transition n’est qu’une succession de compromis avec notre environnement et pas forcément une dégradation ».  

Pour le philosophe, « c’est vieux comme le monde de penser que notre époque est originale. Or, c’est un éternel recommencement. La nature humaine ne change pas avec l’idée séculaire de la fin du monde imminente. Les progrès moraux ne sont pas à la hauteur des progrès techniques et, notamment, en agriculture ». Autrement dit, les mentalités avancent moins vites que la technologie.

Un hamster dans sa roue

Les peuples ont, paradoxalement, la sensation d’un monde qui accélère et qui, pourtant, ne vont nulle part comme un hamster dans sa roue et qui ne peut s’y échapper. Le spectateur engagé ne peut pas avoir conscience du changement et il lui est difficile de saisir l’insaisissable qui est la transition. Il peut avoir conscience de deux états mais pas du passage de l’un à l’autre comme la transition énergétique qui existe depuis toujours.

Raphaël Enthoven conseille de changer ses désirs plutôt que de vouloir changer l’ordre du monde. Il cite en exemple la volonté de l’Homme de mettre la nature sous sa protection en en faisant une personnalité juridique. Or, en faisant cela, l’Homme ne renonce pas à son emprise sur la nature mais il la renforce. Il demande à l’humain ce qu’il ne demande pas aux animaux comme ne pas manger de viande pour les véganes.

D’hypothétiques apocalypses

Mais alors, le philosophe se demande comment maîtriser un monde qui nous échappe et qui est en perpétuelle transition ? Sa réponse : « on ne décide pas de tout ce qui nous arrive mais nous sommes responsables de ce que nous faisons . Il faut agir sur ce qui dépend de nous et donc tout donner au présent sans regarder en arrière et devant. Voir ce qui existe à l’instant T pour adopter le meilleur comportement. L’inquiétude et les discours apocalyptiques n’ont ainsi pas de prise. Se satisfaire de ce que l’on a sous le groin, de regarder ce que l’on a sous les yeux et ne pas y voir un avenir hypothétique donne le sentiment d’avoir et de pouvoir faire ».

Frédéric Thévenin

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