Quand les agents secrets parlent
Jean-Christophe Notin a rencontré une vingtaine d’agents de la DGSE pour les besoins d’un documentaire diffusé au printemps sur France 2. De ces multiples échanges, il a tiré un ouvrage d’entretiens instructif et passionnant.
Pour le grand public, Jean-Christophe Notin est cet auteur qui, quotidiennement, rend hommage sur les réseaux sociaux aux résistants français. Mais l’homme est d’abord et avant tout un historien des conflits passés, et un fin connaisseur des services « spéciaux » actuels français. Et à nouveau, celui qui vient récemment de publier la biographie du plus jeune Compagnon de la Libération, Lazare Pytkowicz, s’est intéressé à cet héritier des services secrets de la France libre qu’est la DGSE.
Pour la première fois, la si secrète Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) a ouvert ses portes à une équipe de tournage, l’autorisant à rencontrer ces Français qui gardent un œil – très vigilant – en direction de l’étranger pour défendre la sécurité de leurs concitoyens.
Endossant le rôle de l’intervieweur, dans la perspective d’un documentaire diffusé au printemps sur France 2, Jean-Christophe Notin ne s’est pas contenté d’interroger le seul fonctionnaire dont le nom peut être rendu public : le directeur général. Il a surtout, et c’est ce qui rend passionnant cet ouvrage*, échangé avec des « agents secrets ». Une vingtaine d’entretiens – certes placés « sous étroite surveillance », comme le précise l’auteur avec honnêteté – qui révèlent la diversité des profils recrutés par la DGSE.
Des militaires, et des ingénieurs
Cette diversité, c’est bien ce qui frappe le lecteur. Il y a l’ancienne employée d’une maison d’édition chargée de valider la forme de ces « notes jaunes » destinées à l’Elysée. Il y a cette fonctionnaire d’origine étrangère dont les compétences linguistiques l’amènent à essayer de comprendre ce qu’un terroriste sur écoute peut bien dire au téléphone. Il y a encore ce militaire – car il y en a, quand même, au sein de la DGSE – qui prend la décision d’autoriser l’interpellation des auteurs de l’assassinat de quatre Français en Afrique.
Beaucoup sont ingénieurs. Ils auraient pu faire le choix de rejoindre le privé, et ainsi gagner largement leur vie. Mais ils ont accepté – car souvent la DGSE repère et contacte les profils qui l’intéressent – de mettre leurs compétences, leur savoir-être au service de leur pays. Un choix assumé qui les contraint à être le plus discrets possible sur leur travail, au bureau ou à l’extérieur, y compris devant les membres de leur famille – ils sont employés du ministère des Armées, se contentent-ils d’indiquer lors des repas.
« Source »
Alors, mis en confiance par Jean-Christophe Notin, dont la connaissance des dossiers du présent se révèle précieuse, ces agents expliquent, mais sans trop en dire, comment ils parviennent à recruter une « source » et à entretenir un lien avec elle. Comment la DGSE a su renseigner la présidence française sur la réelle nature des armes de destruction massive (ADM) qui ont précipité l’intervention américaine en Irak. Comment surtout ils perçoivent leur mission, aussi anodine soit-elle, au profit de la sécurité de leurs compatriotes. « Moi, ce qui m’intéressait, c’était d’être utile », témoigne le benjamin de son service, âgé de 21 ans. Voilà bien la plus noble des motivations.
Lionel Fontaine
*Jean-Christophe Notin, DGSE. La fabrique des agents secrets, Tallandier, 2024.