Prieuré d’Epineuseval, une destinée en mille morceaux
Pour ce quatrième et dernier volet de la série des abbayes oubliées de Saint-Dizier et ses alentours, jhm quotidien a pris le parti de faire un pas de côté dans la forêt du Val à Villiers-aux-Bois. Là-bas se trouvait non pas une abbaye, mais un prieuré, aujourd’hui effacé de la carte.
En lieu et place des bâtiments religieux se trouvent dorénavant multitude de végétaux. Mis à part de rares documents et fragments dispersés çà et là dans d’autres communes alentours ou chez des collectionneurs privés, il ne reste rien du prieuré d’Epineuseval. Un édifice érigé au Moyen Âge, dans la forêt du Val, sur la commune de Villiers-aux-Bois et qui s’est finalement révélé un gouffre financier.
Comme pour les abbayes, qui ont fait l’objet d’articles dans nos précédentes éditions (lire le 31 juillet, le 1ᵉʳ août et le 3 août), rembobinons de quelques siècles pour mieux comprendre son histoire. Selon les écrits, après sa victoire du 27 juillet 1214, à Bouvines, Guy II, vicomte de Troyes décide de fonder le prieuré d’Epineuseval. Ce qui est plutôt commun en ce temps. « L’époque à laquelle il vivait fut celle de la fondation, dans le pays, d’établissements monastiques qui parvinrent rapidement à un degré de prospérité considérable. Par exemple : l’abbaye du Val-des-Écoliers, près de Chaumont (1201), le prieuré de Passe-Loup à Saint-Dizier (1197) […] », commente Fernand Vatin, dans son livre Le prieuré d’Epineuseval, paru en 1931.
Son existence et ses limites sont par la suite confirmées dans une charte publiée en 1217. « Par recoupement, on peut estimer à 1215, la date de sa fondation », précise David Orban, enseignant, qui donnera une conférence « Les seigneurs de Saint-Dizier et la forêt du Val au Moyen Âge », en octobre prochain, dans la cité bragarde. « On peut aussi émettre deux hypothèses sur les raisons de sa création. La première est que Guy II est extrêmement croyant. Il a participé à des croisades et c’est un bienfaiteur de plusieurs prieurés. La deuxième est que c’est une manière pour lui d’asseoir son pouvoir. » En 1219, le prieuré est rattaché à l’abbaye du Val-des-Écoliers, dont il est la troisième fille et les religieux sur place – on n’en compterait pas plus de huit – obéissent à l’ordre de Saint-Augustin. Là encore, le choix semble plutôt stratégique. « Un des fondateurs du Val-des-Écoliers est l’un des seigneurs de Narcy, qui fait partie du réseau de Guy II », poursuit David Orban. « Ils sont très proches et partent ensemble en croisade. »
Un commendataire un peu trop cupide
Sur place, les conditions de vie ne sont pas optimales, la forêt est humide, mais les moines font « preuve de toute leur science ». Des étangs, un réseau hydraulique et des cultures sur billons sont créés. La vie des religieux suit son cours, enfin jusqu’au XVe siècle, période signant la fin de la famille de Dampierre et donc de leurs généreux dons. Ils ont pu compter sur d’autres ressources, mais qu’ils n’ont pas vraiment utilisé à bon escient. « L’évêque de Châlons-en-Champagne va investir des sommes très importantes pour éviter que le prieuré tombe en ruines, mais le commendataire va semble-t-il détourner les fonds. Résultat, lors de visites épiscopales, les travaux ne sont pas ou mal faits et on se demande où est passé l’argent », détaille David Orban. Le nombre d’occupants diminue également fortement. « En 1667, il n’y a plus un moine, mais un seul prieur. » Les bâtiments sont conservés jusqu’en 1777 puis démolis. La bâtisse fera office de carrière. Pierres, statues et fenêtres seront récupérées par les communes alentours, actant définitivement la fin de l’existence du prieuré d’Epineuseval.
Dominique Lemoine
Une nécropole dans la chapelle
La famille Dampierre était très attachée au prieuré d’Epineuseval. Au-delà de subvenir généreusement aux besoins financiers des moines résidant sur place pendant plusieurs siècles, ils y ont aussi aménagé une véritable nécropole. « À part Guy II et son fils, qui sont enterrés ailleurs, tous les autres seigneurs et leurs épouses ont été inhumés. Ou encore des membres de leur réseau tels que l’un des seigneurs de Narcy. Ce qui n’est pas anodin, car, pour se faire inhumer, ils auraient pu choisir leur village d’origine, Moëslains. Ils auraient aussi pu choisir Saint-Dizier, parce que Guy II a aussi fondé Saint-Dizier », détaille David Orban, professeur qui donnera une conférence « Les seigneurs de Saint-Dizier et la forêt du Val au Moyen Âge », en octobre prochain, dans la cité bragarde. Avant d’ajouter, « Guy II est enterré dans l’abbaye Saint-Laumer de Blois et son fils est quant à lui enterré à Saint-Dizier. » À l’instar de la bâtisse, la nécropole du prieuré d’Epineuseval n’est plus du tout visible de nos jours.