Plantu : la liberté de la presse par nature
Cent élèves, et un peu plus, du collège Louise-Michel à Chaumont ont vécu hier une rencontre singulière et précieuse. Plantu est venu spécialement pour leur parler liberté d’expression, caricatures et métier de dessinateur. Plus qu’une rencontre, un échange : dense, riche, bienveillant et direct.
Un dessinateur de presse, fut-il retraité, qui ne se déplace pas sans protection policière, c’est la marque un peu tragique d’une époque trouble. Une contingence à laquelle Plantu, plume et crayon de bien des publications dont Le Monde reste la plus emblématique, se plie. Ce qui ne l’empêche pas de garder cette volonté farouche de transmettre aux plus jeunes, de venir partout où il est sollicité, comme ce jeudi 15 février au collège Louise-Michel de Chaumont.
L’invitation avait été lancée pour l’an dernier par l’établissement et plus spécialement par Céline Anché, enseignante en histoire et géographie : « J’ai rencontré Plantu en 2013 lors d’une exposition au Mémorial Charles de Gaulle, et nous avions imaginé une intervention devant les élèves pour 2023, mais les grèves ont eu raison du projet. Cette année, il a pu venir, ce qui est une fierté pour nous tous et surtout un vrai cadeau pour les élèves. Approcher une personnalité de cette envergure est un moment rare. Qui plus est, cette rencontre intervient évidemment dans un contexte compliqué pour la liberté d’expression. Les élèves ont travaillé en amont sur les questions à poser. Je suis ravi de cette relation franche, directe, ouverte que Plantu a immédiatement instaurée avec eux. C’est très enrichissant » s’enthousiasme la professeure.
Proximité, simplicité, fraternité
Au programme de l’après-midi, une grande rencontre entre le dessinateur et des classes de 3e et 4e. Plantu est à la fois à l’aise dans l’exercice et friand des interpellations qui pleuvent. Quels dessins ont demandé le plus de travail ? Quelles propositions furent refusées par les patrons des journaux ? L’artiste a-t-il connu des pannes d’inspiration ?
Autant d’interrogations que Plantu a saluées comme des vraies questions de fond et auxquelles il s’est plu à répondre ; longuement, en détail, familièrement. Et un dessin valant mieux qu’un long discours, c’est en montrant chaque fois que possible des exemples illustrés répondant aux demandes que Plantu a conquis et, disons-le, séduit un auditoire avide d’explications.
Au reste, Plantu a distillé mieux que des conseils : des incitations à l’enthousiasme. « Signez vos créations, assumez vos opinions ! » a-t-il enjoint aux élèves, avant d’ajouter « toutes les opinions doivent pouvoir s’exprimer dans le calme et dans la discussion. Les avis contraires sont toujours bon à écouter. Un dessinateur a aussi une exigence de bienveillance : on peut caricaturer, on peut et même on doit critiquer, mais il faut aussi savoir où l’on met les pieds. Si l’intention n’est pas vexatoire ou stigmatisante, les choses sont plus admises. Bien entendu, le dessin exprime une opinion, mais cette expression doit aussi intégrer une certaine pudeur, une distance ».
M. Jourdain de la liberté d’expression
C’est naturellement autour de la liberté d’expression que ce sont concentrées les questions. Plantu n’a pas barguigné : « J’ai commencé à travailler dans une période où la question ne se posait pas, en tout cas pas comme aujourd’hui. J’ai toujours pratiqué cette liberté d’expression, un peu à la manière de la prose de monsieur Jourdain, sans vraiment le savoir. Ce n’est pas incompatible avec le fait de devoir soumettre ses dessins avant publication : le dessinateur de presse n’est pas que dans une démarche égoïste et j’ai été amené parfois à traiter de sujets sur lesquels je ne me sentais pas très à l’aise. C’est un équilibre entre ce qu’on a envie de dire et comment le message est perçu. Un dessin est toujours interprété. C’est de cette interprétation et de ses malentendus qu’il faut se prémunir en connaissant bien de quoi on parle et ce qu’on dessine, en conscience ».
La conférence en forme de master class s’est achevée sous force applaudissements et demandes de dédicaces. Céline Anché, décidément à la fête, fut la victime consentante croquée par Plantu résolument dans son élément au milieu des jeunes et de leurs enseignants.
Renaud Busenhard
r.busenhard@jhm.fr
Cartooning for peace : pour ne pas laisser seuls les dessinateurs
En 2006, à l’invitation de Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, Plantu a été amené à créer cette association. « Kofi Annan était très clairvoyant sur le monde qui venait. Il avait perçu l’arrivée des réseaux sociaux, de leur dérive malveillante. Il a insisté pour que cette association existe. Au lendemain des fatwas contre les dessinateurs danois, nous avons décidé de créer cette organisation dont le but premier est d’apporter un soutien aux dessinateurs réellement en butte aux répressions et censures. C’est très important de leur faire comprendre qu’ils ne sont pas seuls. Ça nous a semblé aussi être la bonne réponse aux interdits qui s’installent » détaille Plantu très impliqué en tant que président d’honneur. L’association intervient partout et a réalisé une exposition déployée au collège Louise-Michel qui restera en place encore plusieurs semaines, moyen pour l’établissement de continuer son travail de sensibilisation à la préservation de cette liberté qui se dessine aussi bien qu’elle s’écrit sur les murs de l’école.
Trente mille dessins… et après ?
Plantu est l’auteur de près de 30 000 dessins. Une grande partie d’entre eux vient d’être déposée et numérisée à la Bibliothèque nationale de France. Retraité, reconnu internationalement, n’ayant plus grand chose à démontrer à ses contemporains, qu’est-ce qui peut bien pousser Plantu à venir à la rencontre de collégiens aux quatre coins de la France ?
« Je suis sincèrement curieux de ces échanges avec les jeunes. J’apprends beaucoup à leur contact. Je suis parfois angoissé par une perception du monde baignée de politique et de mauvais présages. Quand je rencontre les collégiens, je me rassure : ils sont globalement bienveillants et je reste convaincu qu’on peut parler de tout quand on use d’écoute, de précautions et de diplomatie » explique le dessinateur dont l’approche didactique vaut bien la pédagogie des enseignants présents ce jour-là.