Philosophie contre police des mœurs au siècle des Lumières
Histoire. Lorsque les travailleurs du faubourg Saint-Antoine prennent la Bastille, le 14 juillet 1789, ils espèrent y trouver des munitions et de la poudre pour les armes saisies aux armureries de l’hôtel des Invalides. Ils libèrent des prisonniers et découvrent les registres de la lieutenance générale de police de Paris. Celle-ci gère le bureau des lettres de cachets et des prisons d’Etat.
Un rapport officiel publié en 1790 est intitulé “Liste de tous les prêtres trouvés en flagrant délit chez les filles publiques de Paris sous l’Ancien régime”. Un avertissement précise que les affaires qui y sont énumérées proviennent des registres de la lieutenance générale de police de Paris saisis en la Bastille. Cette prison y est qualifiée « d’antre infernal qui ne semblait destiné qu’à engloutir les malheureuses victimes du despotisme ». De plus, l’auteur anonyme s’adresse aux prêtres nostalgiques de la monarchie absolue : « Qu’ils apprennent quel était ce gouvernement qu’ils regrettent ! Qu’ils apprennent que le lieutenant de police s’érigeait en inquisiteur général de tous les prêtres qui habitaient Paris ; attachait sur les pas de chacun d’eux une troupe de commissaires, d’inspecteurs et de mouchards ! Qu’ils apprennent que les filles publiques elles-mêmes étaient les agents du lieutenant général de police, qu’elles partageaient avec lui le prix et la gloire d’un si noble ministère, et qu’elles étaient payées par lui pour avertir les mouchards et les inspecteurs dès qu’un ecclésiastique était rentré chez elles ».
Suit la liste d’extraits de 200 procès-verbaux établis sous les règnes de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI, par la lieutenance générale de police de Paris créée en 1667. A titre d’exemple, une affaire de 1765 est publiée entièrement, en fin de rapport, ainsi que les lettres adressées au lieutenant général de police par différents inspecteurs à propos de cette affaire.
Un seul cas pour le diocèse de Langres
Si les religieux pris en flagrant délit sont surtout originaires d’Ile-de-France, certains viennent des provinces ou de l’étranger. Les procès-verbaux concernent en majorité des prêtres et curés, ainsi que de nombreux chanoines. On y trouve des clercs tonsurés ou minorés, des sous-diacres et diacres, des moines, quelques abbés, des vicaires, des professeurs. Des ecclésiastiques princiers et royaux : chapelains, prieurs, aumôniers, précepteurs ; un prédicateur fameux, un archidiacre, un secrétaire épiscopal, le maître de quartier d’un cardinal et un évêque sont parmi les victimes. La Sorbonne, faculté de théologie, n’est concernée que par un licencié, un bachelier et un docteur.
Au cours de ce XVIIIe siècle, l’Université de Paris a compté un fameux recteur apprécié par la cour, notamment par le duc d’Orléans Louis Ier le Pieux (fils du Régent). Il s’agit du professeur de rhétorique Nicolas Piat (1690-1756), natif de Chatonrupt. Cet érudit a été recteur de 1730 à 1733, à nouveau en 1736, puis censeur en 1740 et questeur en 1748 au sein de l’Université. Vicaire général de Reims de 1743 à 1755, il n’apparaît pas dans le rapport.
Ce document inattendu est devenu accessible au public qui pouvait l’acquérir chez les marchands de « nouveautés » ! Il ne révèle qu’un seul cas pour le diocèse de Langres : « J. Crevoisier, clerc minoré (clerc régulier de droit pontifical) trouvé rue Saint-Honoré, chez la femme Cadiche (matrone) avec la nommée Rose (fille d’amour), à laquelle il n’avait encore fait que des attouchements charnels sur la gorge, se disposant à souper avec elle et pousser plus loin sa débauche, lorsqu’il fut troublé par la visite ».
Le mariage des religieux est suggéré
Au début du rapport, dans l’avertissement, le rédacteur se montre philosophe : « Il n’y a jamais eu dans une bonne constitution, et on ne verra sûrement pas dans la nôtre (établie en 1791), une loi qui interdise aux ecclésiastiques, non plus qu’aux autres hommes, le plaisir si doux de satisfaire un besoin naturel. Et que serait-ce ? Si au lieu d’être forcés d’acheter les plaisirs d’une fille publique, et d’avoir souvent à soutenir contre les sots le droit d’en jouir, ils pouvaient, comme les autres, sans blesser les regards d’autrui et avec la protection des lois, goûter les charmes de l’hymen (mariage), entre les bras d’une épouse chérie dont l’amour et les vertus leur auraient indiqué le choix. La société et les prêtres eux-mêmes y gagneraient et la religion n’en serait pas moins respectable ».
De notre correspondant Patrick Quercy
Sources : Bibliothèque nationale de France. Répertoire des professeurs et principaux de la faculté des arts de Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles (Boris Noguès).