Par ici la monnaie
Il ne fait pas le bonheur, mais demeure le nerf de la guerre. « Quand on parle pognon, à partir d’un certain chiffre, tout le monde écoute », fait dire Audiard à Gabin dans “Le Pacha”.
D’après saint Matthieu, Judas a trahi le Christ pour 30 deniers d’argent. Pendant dix siècles, les rois français ont fait frapper des pièces dans la même unité. Il en fallait douze pour faire un sou, 20 sous pour faire une livre, et trois livres pour un écu d’or, plus tard nommé louis. En France seuls le Denier de l’Eglise (ancien Denier du culte) et les deniers publics (parfois trop) nous rappellent cette monnaie antique, qui a toutefois donné leurs noms aux dinars algériens, tunisiens, serbes… La pièce ne date pas d’hier. Seuls vrais rois de la galette, Mercure et Hermès étaient déjà les dieux du commerce et… des voleurs. Oui, oui, c’est écrit ! Le dieu romain a effectivement volé grâce à ses ailes au casque et aux pieds, le Grec Hermès encore mieux, parvenant même à échapper, récemment, à un grand groupe de luxe.
Billet du matin
Poursuivons, car il y aura forcément des histoires d’argent entre nous. La monnaie électronique va probablement envoyer notre ferraille aux oubliettes. Quel dommage pour la langue française qui va y perdre ses ronds, sa joncaille et ses pépettes ! Allons-nous oublier la braise, qui a fait bouillir tant de marmites, et la fraîche, encore préférée pour le café du matin ?
Chez un commerçant de mes amis, le bleuet (20 €) et la jaunotte (50 €) sont passés monnaie courante. Ce champignon de nos forêts désignait déjà la superbe coupure de 500 francs à l’effigie orangée de Blaise Pascal. Toujours en avance, les Chinois connaissaient le billet en l’an mil, tandis que les Européens ne l’ont utilisé qu’au XIXe siècle.
Il nous arrive à tous, à présent, d’allonger les talbins, comme on dit. En réalité, vers 1820, le mot talbins désignait les huissiers, chargés de porter des billets, de complaisance par exemple, à une adresse indiquée. Le terme a ensuite été appliqué aux billets eux-mêmes, avant que l’argot ne le reprenne pour les billets de banque, munis d’une valeur financière. Des espèces à part entière, en somme. Quant aux fafiots, il ne s’agit pas de sortir les mêmes papiers si c’est un maître d’hôtel ou un gendarme qui vous les demande.
T’as la picaille ?
L’artiche serait un hommage au légume breton qui, par analogie, qualifiait en argot le portefeuille. La langue arabe, qui fait passer les toubibs dans les bleds, nous a donné le flouse, de même sens. A la cour des Miracles, le chef des brigands était appelé Roi de Thunes (Tunis). Les pièces données aux mendiants ont gardé le nom et l’excellent Jean Constantin les a fait glisser dans le bastringue.
Les Provençaux de la Renaissance utilisaient piquar, venu du latin populaire pikkare pour sonner la cloche. Un bruit semblable à celui que font les picaillons au fond de notre poche. La mitraille et la vaisselle de poche ont les mêmes sens. L’intouchable grisbi cher à Jacques Becker et à Francis Blanche viendrait du griset, pièce de six liards longtemps utilisée pour les péages sur les ponts.
Boules et balles
Chaque métier cultive sa richesse : le maçon rêve d’empocher une brique, le chocolatier cent plaques. Les cuisiniers, qui ont déjà la recette, gagnent leur fric en préparant le fricot. Mais le sommet est atteint dans cette discussion entre deux jardiniers : «- J’ai planté dix patates, du blé et de l’oseille. – Et tu as bien récolté ? – Tu parles, pas un radis..»
Si vous avez le pognon, tenez-le bon dans votre pogne. Car ce qui coûtait 50 balles se vend aujourd’hui 200 boules, et il faut sortir plus d’un bâton pour un truc qui valait 100 sacs. Alors, comme dit l’électricien, forcément, ça douille.
De notre correspondant