Notice philosophique : les spectres politiques de l’écologie
Le sens outrancier donné au mot “écoterroriste” soutient actuellement la répression qui s’abat sur les écologistes en Europe. Une telle désignation qui n’a aucune légitimité juridique permet de masquer la mascarade de certains gouvernements autour de questions cruciales de l’écologie. Si les faits et les gestes des “opposants” sont immédiatement assimilés à des actes terroristes, il est évident que ces mêmes actes, à cause de leur finalité meurtrière, rendent odieuses les raisons mêmes de leur effectuation dans l’espace public. Bien plus que de discréditer les écologistes, l’enjeu politique est d’inverser totalement le sens d’une situation catastrophique pour le devenir du monde en en attribuant l’origine à ceux ou celles qui luttent contre les désastres environnementaux.
Que des militants écologistes soient désignés comme des criminels pour nier toute légitimité à leur combat, est une manière pour un Etat de montrer par la mise en scène d’une répression que leur action menace la démocratie. Ainsi se trouve nié le droit lui-même de manifester. L’usage de l’expression “talibans verts” consacre par exemple l’équivalence fallacieuse entre le terrorisme et ce qui relève de la “désobéissance civile”. Or, ayant pour règle de pouvoir s’attaquer aux biens mais jamais aux personnes, cette “désobéissance civile”, si elle est reconnue, protège le sens donné à toute manifestation, à toute mise en acte public d’une opposition déterminée à ce qui est estimé illégal.
Il n’y a pas que les méga-bassines qui sont le théâtre de la répression, à Bure, les opposant(e)s risquent d’être soumis(es) à un véritable espionnage policier durant plusieurs générations dans la lutte contre “l’éco-vandalisme”.
D’une manière générale, la plupart des actes menés par les militants à l’encontre des œuvres d’art a une portée essentiellement symbolique. Comme les “tournesols” de Van Gogh, la Joconde, “Les Meules” de Monet, la “Jeune fille à la perle” de Vermeer ou la BMW repeinte par Andy Warhol, toutes ces cibles célèbres étaient protégées par des vitres contre les boîtes de soupe projetées qui ne les ont pas endommagées. Mais les responsables des beaux-arts, les mécènes et les collectionneurs s’approprient le sens public de semblables performances !
Qui peut dire de quel côté se seraient mis Van Gogh, le fou, Monet, lui-même censuré par la morale de la bourgeoisie de son époque, Vermeer, devenu après-coup et malgré lui, comme Van Gogh d’ailleurs, l’aubaine d’une consommation de masse avec la reproduction de ses tableaux sur n’importe quel objet ? Nous pouvons surtout imaginer comment Warhol aurait instrumentalisé l’instrumentalisation de son œuvre, et surtout de sa dégradation. Dans les temps à venir, ces événements seront ils évoqués avec une aura similaire à celle que reproduit la légende de la pissotière de Marcel Duchamp ?
Henri-Pierre Jeudy