Nicolas Thiel : « l’alcool chez les jeunes reste une question bien présente »
Nicolas Thiel travaille pour l’Association Addictions France et coordonne le développement des consultations jeunes consommateurs en Haute-Marne. Si la consommation d’alcool chez les jeunes n’augmente pas, elle est toujours très présente, comme culturelle en France. Et l’environnement anxiogène du moment n’arrange rien.
Nicolas Thiel intervient dans tous les établissements qui accueillent des jeunes, collèges, lycées, missions locales, Epide… Depuis quelques années, il coordonne en effet le développement des consultations jeunes consommateurs (CJC) en Haute-Marne pour le compte de l’association Addictions France qui s’appelait avant l’ANPAA (Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie). La consommation de produits, alcool et autres, est une réalité. De manière générale, elle ne diminue pas. « Quand j’ai commencé, il y a 8 ans, on avait à gérer des situations très complexes mais c’était très exceptionnel. Aujourd’hui, ça ne l’est plus. Nous avons au moins une situation complexe par jour », dit-il.
Etat psychique plus précaire
Le terrorisme, les confinements, la guerre, les crises économiques et climatiques créent un environnement anxiogène dont sont aussi victimes les jeunes. La santé mentale des publics s’est indéniablement détériorée avec, comme corollaire, des consommations de produits qui restent prégnantes. Et en Haute-Marne, la réponse médicale n’est pas évidente par manque de médecins généralistes, de médecins spécialistes, et encore davantage de psychiatres. « On se retrouve avec des gens qui sont en consommation : alcool, tabac, stupéfiants, écrans… Dans mon activité quotidienne, je me rends compte que les jeunes sont plus fragiles et dans un état psychique beaucoup plus précaire », ne cache pas l’éducateur spécialisé.
Alors, il confirme. « L’alcool chez les jeunes reste une question bien présente. » Il donne quelques chiffres. Et même s’ils ne sont pas très récents, ils traduisent l’ampleur du phénomène : 9 jeunes de 17 ans sur 10 ont déjà consommé de l’alcool. Ils sont, et c’est plus alarmant, 59 % à l’âge de 11 ans et 72 % à l’âge de 13 ans. L’éducateur spécialisé livre aussi quelques données éclairantes sur des consommations régulières : à 15 ans, 58 % des jeunes ont une consommation au moins une fois dans le mois et ils sont 79 % chez les 17 ans.
Culture gauloise
Comme une sorte de « culture gauloise » bien enracinée, Nicolas Thiel estime que la consommation d’alcool chez les jeunes est favorisée. « C’est dans le cadre familial que les expérimentations ont lieu », n’hésite-il pas à dire. « Nous sommes sur de la consommation régulière d’un poison qui est socialement admis sur fond de convivialité à la française », ajoute l’éducateur spécialisé. Et l’interdiction d’achat aux moins de 18 ans n’y fait rien.
Des ravages
Alors, vaste question : comment prévenir ? Comment expliquer aux jeunes les ravages de l’alcool : accident, violences, rapports sexuels non consentis etc. Les conséquences sont nombreuses et lourdes. Sur la santé aussi bien sûr : « la consommation d’alcool ou de cannabis empêche la maturation et la plasticité du cerveau à l’adolescence », rappelle Nicolas Thiel. Il doit, dans ses interventions auprès des jeunes, utiliser d’autres ressorts pour faire passer ses messages de prévention. Car il le répète : « plus la consommation est précoce plus les dommages sont importants. »
S. C.S. et C. C.
En France, interdire « l’alcool est impossible et abscond », souligne Nicolas Thiel. Il estime qu’il faut apprendre à vivre avec en répondant aux questions suivantes : comment on accompagne l’expérimentation ? Comment aider les jeunes à trouver leur bien-être ? Comment apprendre le bon usage de l’alcool ? Pour l’éducateur spécialisé, la prévention passe le dialogue avec les jeunes en travaillant sur les représentations. « Est-ce que la convivialité passe forcément par une consommation de produits ou d’alcool ? Il faut demander aux jeunes : c’est quoi faire la fête ? C’est être le premier à vomir dans le caniveau à 20 h 30 ? Ou faire la fête jusqu’à 6 h 30 du matin sans pratiquement avoir bu d’alcool ? Faire la fête, c’est s’amuser, discuter. Il faut s’interroger sur le contenu. Et l’ivresse n’est pas un contenu c’est un outil », dit-il. Les jeunes doivent appréhender ce qu’est le bon usage de l’alcool. « C’est celui qui ne cause ni problèmes sociaux, ni physiques, ni de troubles graves. »