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Monuments historiques en péril : pourquoi la région Grand Est score plus qu’ailleurs ?

C’est une incidente que le conseiller régional Sophie Delong avait glissée dans son allocution le jour où l’église des Trois-Jumeaux à Saints-Geosmes rouvrait ses portes, le 11 septembre 2021. « Dans la région Grand Est, 17% des monuments protégés sont en péril, quand, en moyenne, ce taux est de 4,7% en France ». Après avoir confirmé cet écart, en précisant les termes de la comparaison, Sophie Delong a expliqué pourquoi il était en effet abyssal.

« En France, 44 421 édifices(1) sont inscrits et/ou classés (68%, 27% et 5% mixtes) à l’inventaire des monuments historiques, dont 4 285 (soit près de 10%, dont 63 inscrits, 33 classés et 4% mixtes) sont situés dans la région Grand Est et 17% sont en péril, quand, au plan national, il y en a 4,7%  » C’est dire si, côté joyaux patrimoniaux, la Région est gâtée -33% de ses communes peuvent se prévaloir d’avoir au moins un monument historique (MH) -la Haute-Marne en compte à elle seule 430. Or, le privilège d’avoir « plus de monuments historiques dans notre Région » que chez ses homologues(2)se paie, il y a mécaniquement plus à faire en Grand Est. Reste que le fameux ratio (17%) donne le sentiment que leur préservation est une préoccupation accessoire pour l’exécutif de la collectivité. Mais avant de tomber à bras raccourcis sur une option qui paraît marcher contre l’air du temps chargé en petits mots aimables pour le patrimoine, la compilation d’explications factuelles peut s’avérer utile. Le conseiller régional Sophie Delong s’y exerce. D’autant que l’élue a hérité de la présidence de la commission Montagne ruralité patrimoine local et patrimoine paysager.

Rue des Marmouzets à Joinville, cette maison à pans de bois, très visible en étant située sur un angle, menaçait tout simplement de s’écrouler. Des travaux sont en cours (©JHM)

Petite constitution

« La Champagne a compté moins de monuments détruits par les guerres, excepté bien sûr l’anéantissement de la cathédrale de Reims ». La Haute-Marne appartient ainsi à ce territoire relativement épargné. Or, lapalissade : un monument qui, malgré les turbulences, tient debout… vieillit. Plusieurs d’entre eux, en Haute-Marne comme dans l’Aube, ont ainsi attrapé 700 ou 800 ans, sans compter qu’il s’y trouve de très lointains ancêtres gallo-romains. « Très anciens implique plus fragiles et par conséquent plus susceptibles de se retrouver en péril ». Parmi les plus récents MH, nombre sont « industriels » -empreintes de la grande époque de la métallurgie, et de la forte présence militaire. « Désormais inutilisé, ce patrimoine se fragilise ». En clair, les MH du Grand Est ont une constitution plus délicate qu’ailleurs en France.

Anticléralisme fâcheux

« La Champagne a été traditionnellement anticléricale ». Une option idéologique des XIXe et XXe siècles qui s’est traduite par une attention très modérée pour les fameux joyaux, qui comptent nombre d’édifices religieux. Un choix que Sophie Delong déplore. « L’anticléricalisme champenois est une mauvaise interprétation de la laïcité ». Ajoutez à cette bouderie délibérée « la création très tardive en Champagne d’un service d’inventaire général du patrimoine, et elle a été la dernière à avoir une direction générale des affaires culturelles (DRAC) ».

Petites communes, petites trésoreries

L’évêque de Langres bénissant l’église de Balesmes -un rappel de la place des édifices religieux parmi les joyaux patrimoniaux (©JHM).

« La Champagne est faite d’une multitude de petites communes ». Cet « émiettement » urbain se réplique au plan financier. En 2010, une loi vient encourager les cités de petite taille à se regrouper pour pallier ce manque de moyens sonnants et trébuchants. Pour sa part, Sophie Delong, qui a été maire de Langres de 2014 à 2020, cherche à faire entrer Saints-Geosmes, Peigney et Chalindrey dans le giron de la cité des remparts. Elle échouera -« déjà parce que mon premier adjoint Xavier Logerot y était opposé, à titre personnel ». Mais elle retient que « (son) travail a servi au maire de Saints-Geosmes ». Si Jacky Maugras « a refusé » que sa ville fusionne avec celle de Langres, « il a accepté l’opération avec Balesmes ». L’élue se contentera d’une « réussite par procuration » -c’est dire qu’elle retient le résultat : « la restauration de l’église de Balesmes a pu s’extraire du blocage », l’union des deux cités a rendu possible le bouclage du plan de financement.

Projet cohérent, projet gagnant

La charpente de la Tour Navarre est en train de vriller… sans qu’on le voie, et, si les travaux à 1M€ n’étaient pas effectués, elle devrait être fermée au public (©JHM).

« Que fait la région Grand Est ? ». À entendre Sophie Delong, la collectivité commence par distribuer les responsabilités : s’il y a autant de monuments en péril, l’absence de projet de restauration n’est pas prête d’en diminuer le nombre. « Face à ce pourcentage édifiant -17 points- la Région cible ses aides ». Déjà, merci aux candidats de s’adjoindre les services d’un architecte. Ensuite, pas question que le Grand Est contribue à régler la facture de la réfection des murs d’une église si la toiture menace de s’écrouler, engloutir l’argent public dans un projet partiel revient à le jeter par les fenêtres ; ni de soutenir des opérations qui ne dureront pas (par exemple « l’usage du ciment est inopportun car il emprisonne l’humidité »). Au passage, le caractère fort pointilleux au plan qualitatif dudit ciblage explique la lenteur de l’instruction des dossiers de demande de subventions. De quoi ralentir le temps d’abaissement du niveau des 17 points. Pourtant, « le Grand Est priorise le sauvetage des monuments historiques, en optant en premier pour les travaux dits  “clos et couvert” ». Dès 2016, indique l’élue, la Région a fixé le montant de ses aides à « 20 à 30 %, selon le nombre d’habitants ». Las, tant pis pour le petit patrimoine : choisir, c’est logiquement exclure. En tout état de cause, à chaque fois, il s’agit aussi d’apprécier l’ « intérêt » d’un projet. À Langres, l’église de Nazareth (XXe siècle), la passerelle des Quartiers neufs méritaient-ils que la collectivité flèche des fonds ? Sophie Delong précise que sous son mandat de premier magistrat, c’est l’église en question qui a emporté le duel. Sans cette étape qui consiste à « trancher », pas de deuxième et troisième -« restaurer et valoriser ». Entre 2016 et 2020, la région Grand Est a investi plus de 20M€ dans 385 projets concernant des édifices classés, et, dans les 422 portant sur les édifices inscrits ou non protégés, plus de 8M€.

Des brèches s’ouvrent régulièrement dans les remparts de Langres, qui doivent alors être colmatées (©JHM).

Manque cruel de compétences locales

« Quand la Région tient un projet global, encore faut-il qu’il y ait des entreprises pour le réaliser ». Sauf que le Grand Est manque cruellement de compétences, de sorte qu’il faille aller les chercher en dehors de ses frontières. Inévitablement, c’est un surcoût. La région compte seulement 23 entreprises spécialisées en restauration de MH, une centaine de petites entreprises qui peuvent participer à ces gros chantiers, et 22 professionnels dont le métier entre dans le champ de la restauration. De quoi conduire la Région à devoir égalemement porter l’effort sur l’orientation, la formation et le soutien aux entreprises.

Fabienne Ausserre

f.ausserre@jhm.fr

(*) chiffres 2019.

(2) au plan quantitatif, le Grand Est est en tête, à égalité avec l’Occitanie (10 % des MH de France).

Et le petit patrimoine ?

« Si, dans la commission Montagne ruralité patrimoine local et patrimoine paysagerque je préside, ceux qui sollicitent des subventions démontrent qu’ils font eux-mêmes un effort, on les aidera ». Au regard du nombre d’édifices qui méritent que la Région donne un coup de pouce à leur restauration, le départage s’effectue au nom de l’antienne « Aide-toi et le ciel t’aidera ».

Cette commission « de prospective » est nouvellement formée à la Région. « Elle est là pour faire évoluer la politique de la collectivité en matière de patrimoine ». C’est que, si les MH font l’objet de « grands plans », cette commission « cherche à imaginer comment protéger le patrimoine local ». Ces sites précieux « à deux pas de chez soi, qui ne sont pas forcément inventoriés  ». Injustement rangés sous la bannière petit patrimoine, facilement négligé. « Cette commission va également déterminer pourquoi des dossiers sont parfois refusés ».

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