Métier ? Sous-préfet et voilà en quoi il consiste
Dans le cadre des Rencontres Diderot, le sous-préfet Emmanuelle Juan-Keunebroek est venu retracer son cheminement professionnel jeudi 17 mars. Femme, dotée de responsabilités, haut-fonctionnaire, trois facteurs qui campent un scénario rarement imaginable à des lycéens.
Pour ouvrir la conférence-débat Les femmes et les métiers à responsabilité dans l’administration, jeudi 17 mars, le professeur Lise Fuertes tenait son témoin : le sous-préfet Emmanuelle Juan-Keunebroek, une femme haut-fonctionnaire, avec des responsabilités. Qui avait naturellement préparé une feuille de route.
Mesdemoiselles, stop à « l’autocensure »
« On a tendance à concevoir les responsabilités de manière assez atypique… ». Et, aux yeux d’Emmanuelle Juan-Keunebroek, la tendance vaut pour tous les métiers et est plutôt bien partagée. Auprès d’une candidate, on s’inquiète de savoir si elle a des enfants en bas âge. Qu’elle réponde oui, elle peut sursauter : « … et alors ? » -le sous-préfet ne dit rien de l’opportunité d’exprimer sa surprise. Sachant que, déjà, la candidate se tourmente. « Serai-je à ma place ? Comment expliquerai-je mon choix à mes proches ? ». Il y aurait comme « un poids de la société » qui entraîne une « autocensure » des demoiselles. Leurs aspirations en seraient souvent bridées. Et nul besoin de convoquer les droits des femmes conquis dans l’histoire, « on en est bien sûr loin ». Toutefois, « il reste un combat contre soi-même ». Oui, mesdemoiselles, même si fillettes, vous étiez dînette quand les garçons jouaient dehors, gardez-vous de cette auto-empêchement. Et ne comptez pas forcément sur la féminisation des noms des métiers pour le faire à votre place. Mais au fait… quelles qualités voyez-vous pour faire un sous-préfet ? L’invitée voulait amener son auditoire à convenir que, filles et garçons pouvaient s’en prévaloir -CQFD.
« Pour être sous-préfet, il faut aimer les gens »
« On ne peut pas être sous-préfet sans aimer les gens ». C’est tout le contraire, insiste Emmanuelle Juan-Keunebroek. « Pour mieux les comprendre ». Oui, une connaissance législative trapue est indispensable. Toutefois, « ni le préfet, ni le sous-préfet ne sont seuls, leurs services ont une expertise de la réglementation, qu’ils analysent finement ». En revanche, « être organisé, rigoureux » est bien utile, savoir s’exprimer en public aussi. Les termes qui siéent à la légitimité de la fonction ne désincarnent pas ceux qui l’assument. « Je tiens à mettre ma patte dans mes discours ».
« Je veux être un sous-préfet de terrain »
« Le corps préfectoral ne fait pas qu’appliquer la réglementation ou conduire des procédures administratives. Il a aussi… et surtout un rôle de fédérateur ». Oui, Emmanuelle Juan-Keunebroek convient qu’en étant attachée à la primauté de cette charge, elle est profondément fidèle à elle-même. D’ailleurs, « l’État crée de la norme »… mais tient de plus en plus à endosser les habits de « partenaire » -des élus, entreprises, acteurs de la société civile. Ainsi, le haut-fonctionnaire renchérit. « Moi, je veux être un sous-préfet de terrain ». Où là seul, les échanges sont possibles pour de bon. « A tout projet, il y a un impact local. À nous d’impulser un travail en réseau des différents échelons d’élus -communes, intercommunalités, Département ». Sans avoir de chouchou, la neutralité est une exigence absolue du métier. « Partenaires des élus… et des entreprises ! » Le sous-préfet signale au passage le travail en binôme des sous-préfets et élus régionaux initié début 2022 -ici, avec Sophie Delong. Le duo s’attèle au casse-tête haut-marnais du recrutement ardu dans un paysage avec un taux de chômage à 6%.
« A moi d’expliquer la décision publique, souvent mal perçue »
« La biodiversité est l’ADN des territoires ruraux, nous devons être attentifs à sa préservation ». La récente loi Climat et résilience est « mal comprise ». Or, pas sûr que l’apprentissage accélère quand il s’agit d’artificialisation des sols, par exemple. « A moi d’expliciter la décision publique, souvent mal perçue parce qu’elle arrive par courrier en langage administratif ».
Fabienne Ausserre
f.ausserre@jhm.fr
« Je n’avais pas imaginé devenir sous-préfet »
Au lycée Diderot, le sous-préfet a su dérouler les chapitres qui lui importaient pour expliquer son métier -une fonction en réalité. Et s’en écarter tout autant : si elle l’a décrit, Emmanuelle Juan Jeunebroek a aussi levé une part du mystère de son statut. A des lycéens qui en ignoraient tout.
« Au lycée, je ne savais pas ce que je voulais faire… Ni ce qu’était un sous-préfet ». Si l’étudiante va intégrer Sciences Po’, ce ne sont en tout cas pas ses parents qui ont pu lui souffler son orientation. « Mes parents ne connaissaient pas Sciences Po’ ». Et alors ? en somme. Le choix de Sciences Po’ sera profitable à Emmanuelle Juan-Keunebroek. Au-delà des connaissances engrangées, elle « grandit ». Assez pour resserrer le champ des possibles : elle veut intégrer la fonction publique, et prépare plusieurs concours. Inspecteur des finances, même si elle se sent un petit appétit pour un métier de chiffres… « Mis à part qu’il soit bien payé… ». Les jeunes découvrent une invitée qui sait desserrer son langage. Emmanuelle Juan-Keunebroek progressera par étapes pour composer avec sa hantise de l’échec. « J’avais peur de me planter », impossible vis-à-vis des proches. Il faudra qu’elle décroche le titre d’attaché administratif hospitalier pour se risquer le concours de directeur d’hôpital. « On ne fait pas forcément un métier en première intention ». C’est par détachement qu’elle entre dans la préfectorale. Emmanuelle Juan-Keunebroek arrive en mai dernier à Langres, après « avoir été nommée en conseil des ministres ». Dans son premier métier, elle a déjà été fort mobile, passant par Paris, Rennes, Saint-Quentin, Saint-Etienne… et ça n’est pas près de changer, maintenant qu’elle est sous-préfet. « Il est très probable que, dans un an, un an et demi, je ne sois plus ici ». Cette mobilité a stupéfié son auditoire. Plus conformistes, les jeunes, en matière de vie professionnelle ?