Ensemencer les nuages : késako ?

Environnement. Le bien connu Pierre Chevallot – il est une figure emblématique de l’aéro-club langrois – a participé en 1981 et 1982 à une campagne d’ensemencement des nuages. Explications.

Pierre Chevallot aura eu une carrière remarquable liée à l’aviation. Que ce soit en tant que mécanicien, démonstrateur, instructeur ou encore pour le transport des voyageurs, Pierre Chevallot aura pratiqué de multiples activités. Fait remarquable et moins commun, l’aviateur a participé en 1981 et 1982 à une campagne d’ensemencement des nuages. Rencontre avec ce personnage, histoire de découvrir cette pratique qui deviendra peut-être à l’avenir plus utilisée dans le contexte actuel lié au changement climatique.

Forcer Dame Nature

L’ensemencement des nuages est une forme de modification du temps qui consiste à ajouter différentes substances dans des nuages afin d’influencer les précipitations. Cette technique peut être utilisée pour disperser le brouillard, diminuer la grosseur des grêlons ou augmenter la quantité de précipitations et est utilisée dans différents domaines dont l’agriculture, la lutte contre la désertification ainsi que dans le domaine militaire.

Naturellement, les nuages non précipitants et les brouillards sont constitués d’une multitude de gouttelettes d’eau microscopiques ou de cristaux de glace qui ne sont pas suffisamment gros pour tomber et atteindre le sol sous forme de précipitations. Les expériences d’ensemencement visent à rompre cet équilibre en accélérant la croissance de certaines gouttelettes ou leur transformation en cristaux de glace par introduction dans les nuages de particules artificielles comme des poussières ayant une forte affinité pour l’eau, des matériaux ou des noyaux glaçogènes comme l’iodure d’argent, qui est la particule artificielle la plus communément utilisée à cet effet.

Deux solutions de dispersion existent : soit les substances sont diffusées de manière ciblée dans le nuage par un avion ou des torches pyrotechniques, soit elles sont diffusées en continu et de manière plus large dans la zone de développement des orages à partir de réseaux de générateurs au sol.

La pluie artificielle par ensemencement des nuages est une technique élaborée et appliquée pour la première fois en 1946, aux Etats-Unis, pour lutter contre la sécheresse qui sévissait dans la région de New-York. Depuis les années 1950, l’ensemencement des nuages est aussi mis à profit afin de lutter contre la grêle. En 2004, l’Organisation météorologique mondiale recensait plus de 100 projets de modification artificielle du temps dans le monde, mis en œuvre par des dizaines de pays, en particulier dans les régions arides et semi-arides. Compte tenu de la complexité des phénomènes atmosphériques et de la grande variabilité dans le temps et dans l’espace des précipitations, la mise en évidence de l’efficacité des ensemencements reste une tâche difficile.

Dangereux pour la santé et l’environnement ?

Plusieurs études publiées sur l’utilisation de l’iodure d’argent ont été faites dans différentes régions du monde depuis le début de son usage en ensemencement des nuages. Il a été reconnu que la toxicité de l’ion argent dans l’eau est significativement améliorée par la présence dans l’eau d’ions chlorure, d’ions carbonate, d’ions sulfures et de carbone organique dissous. En outre, il a été montré que l’argent est absorbé en grande partie sur les particules en suspension dans l’eau. La plupart des études conclut qu’il n’y a pas d’impact significatif si les concentrations utilisées suivent les directives de l’Organisation météorologique mondiale à ce sujet.

Retour d’expérience

Employé de la société aéronautique jurassienne de Dole, Pierre Chevallot a participé en 1981 et 1982 à une campagne d’ensemencement de nuages afin de lutter contre les chutes de grêle sur le vignoble côte-d’orien. D’un montant de 3 355 400 francs, ce programme était financé par diverses assurances et le syndicat de vignerons de Côte-d’Or. Sous la direction de Jean Berlage, fondateur de la société aéronautique, chaque pilote était accompagné d’un agent météorologue en relation avec le radar et d’un agent chargé de tirer les fusées radiocommandées chargées en iodure d’argent. De juillet à août, les deux équipes devaient se tenir prêtes au décollage à toute heure et les condition de pilotage restaient complexes et dangereuses : « Nous étions équipés d’un masque à oxygène car nous pouvions évoluer à plus de 5 000 m d’altitude, au cœur des orages, et nous portions des lunettes pour ne pas être éblouis par les éclairs ». Non sans humour, Pierre Chevallot a évoqué les conditions de vol : « Ça remue là-haut ! Peu étaient ceux à vouloir exécuter cette tâche ». Selon Pierre Chevallot, l’ensemencement des nuages était efficace pour limiter les chutes de grêle mais cette pratique occasionnait une augmentation des précipitations et donc un ruissellement important sur le vignoble. Il n’y avait pas que la pluie qui tombait du ciel. « Certains culots de fusée tombaient sur des habitations et engendraient des dégâts sur les verrières. Nous ne pouvions pas gérer cet aléa ». La société aéronautique jurassienne ne réalisera que deux campagnes de ce type en Côte-d’Or mais participera en 1984 à une opération visant à protéger les cultures d’oliviers en Grèce des chutes de grêle.

De notre correspondant Mickaël Thabourin