Lou Collin, chassée-croisée
Lou Collin est danseuse professionnelle. À 22 ans, et après des pépins de santé, la vagabonde mène toujours sa vie tambour battant. Elle a quand même freiné sur les voyages, avant de réaliser le plus essentiel, en quête de ses racines, quelque part en Éthiopie.
Elle irradie la pièce. Lou Collin rebondit sur ses jambes comme si elle battait la mesure, lorsque nous la rencontrons, lundi 11 mars, dans un bistrot de la place Aristide-Briand. Léger retard, pour répétition de ukulélé avec une amie. Elle sait que ce n’est pas vraiment grave mais se confond en excuses. Et toujours, elle sourit, immuable rictus comme gravé sur son visage. Elle commande un café latte et commence le récit de son voyage. Pardon, de sa vie. On embarque, comme happés.
La Nièvre
Lou danse. Beaucoup, souvent, tout le temps. Elle rit : « J’ai toujours dansé. » Partout. Sur les parquets de l’école Marchand-Chrétien de Saint-Dizier, où elle a été formée au classique et au modern jazz. À Toulouse, avec la compagnie Topaze, où elle apprivoise la danse contemporaine. Les orteils ensablés, à l’école des Sables, au Sénégal, où elle a décroché une prestigieuse certification en 2022. Dans la Nièvre, aussi, à la bergerie de Soffin, tiers-lieu artistique tenu par le danseur Alfred Alerte, qui ne l’a « jamais lâchée et (qu’elle) considère comme un mentor ».
« Lou est une personne hyper attachante, c’est un rayon de soleil », s’enthousiasme le chorégraphe. Il continue : « Elle est souriante, accueillante. Comme chez elle à la bergerie. Les gens ont besoin de ça en milieu rural, à chaque fois qu’ils viennent, ils me demandent où elle est, ce qu’elle devient, comment elle va. » D’origine martiniquaise, Alfred Alerte a été « profondément touché par l’histoire de Lou ». Une relation presque filiale unit les deux. Et ils travaillent ensemble sur un corpus, spectacle dans lequel des danseurs accompagnés d’un instrumentiste délivrent leur art. Les premières représentations devraient avoir lieu en 2025, à Authiou, dans la Nièvre. Peut-être ailleurs, aussi.
Chancenay
Lou rigole. Même quand elle a été au plus bas, après un gros pépin de santé, la forçant à être transférée en métropole depuis Mayotte, alors qu’elle y était en tournée avec la compagnie Black Bakara. Elle riait déjà à Chancenay, dans son enfance, avec ses parents et son frère Arthur, de trois ans son aîné. Pour ses profs, par contre, elle était compliquée. Certains ont dû s’arracher les cheveux. Avec ses amis, c’était autre chose. Comme Mahdi, « l’ami le plus fidèle qu’elle (ait) jamais eu », lui aussi enfant adopté et grandi à Chancenay. De profondes similitudes.
« C’est quelque chose qui, par la force des choses ou non, nous a fait nous retrouver l’un dans l’autre », relativise-t-il aujourd’hui. Quand ça n’allait pas bien, Mahdi était là. Pour ça, Lou est « infiniment reconnaissante ». Pour lui, « c’était logique, ce n’était pas une histoire d’être présent ou non, c’était juste normal ». Et de raconter un de leurs plus vieux échanges, dans un rire : « En primaire, je lui ai dit qu’elle était une jolie fille… elle m’a mis un coup de boule ! »
L’Éthiopie
Lou mûrit. Elle est née en Éthiopie, sous le prénom de Samrawit. « Ça signifie “réussite” », s’amuse-t-elle, en train de remuer son latte du bout de ses ongles manucurés. Elle est arrivée en France en retard (comme quoi) et un peu malade. « La première personne qu’elle a rencontrée, en dehors de nous, ses parents, c’est son médecin », se rappelle son père Fabien. Il poursuit : « Je suis fier d’elle, plutôt deux fois qu’une. Tout ce qu’elle touche, elle le réussit. »
Lou veut retourner en Éthiopie. « J’ai un lien indispensable, mais inconscient, avec ce pays. Ça fait partie de moi, ça fera toujours partie de moi », assure-t-elle. Il a fallu convaincre papa, un peu plus craintif que maman à propos de ce retour aux sources. C’est chose faite, le voyage est pour bientôt.
Saint-Dizier
Lou travaille. Parce qu’elle ne tient pas en place, elle mène tout de front. Dans une salle de sport bragarde, elle dispense des cours de danse. Quand l’occasion se présente, elle avale les kilomètres pour figurer dans un clip musical. La musique, c’est sa drogue. Elle raconte : « Je ne peux pas passer de ma chambre à ma salle de bain sans mon enceinte. » Avant d’arriver à notre entretien, elle avait Zaz dans ses écouteurs. Sinon, elle adore Wim Mertens, Geoffrey Oryema, Alewya ou UB40, « qui tournent en boucle dans (s)es oreilles ».
De façon plus informelle, elle dessine. Elle danse le hip-hop, aussi. Et comme si ce n’était pas assez, elle est en service civique au club Léo-Lagrange. Le temps de notre entretien s’égrène, et elle doit bientôt s’y rendre, pour donner un cours d’éveil à la gym. « Je n’ai pas le temps de m’ennuyer », confie-t-elle sur le trajet pour aller faire des photos. Elle prend la pose, puis file. On se demande si ce n’était pas un mirage.
Dorian Lacour