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L’orphelinat de Villegusien n’a pas perdu son nom

Avant la vente à des particuliers, les ouvriers qui ont construit le canal de la Marne à la Saône ont occupé à leur tour les bâtiments.

A la sortie du village de Villegusien, direction Piépape, une grande bâtisse aux 40 fenêtres, transformée aujourd’hui en logements locatifs, était il y a bientôt deux siècles un orphelinat, voulu et animé par un curé courageux, tantôt bâtisseur, jardinier, laboureur, éleveur.

Une maison imposante occupée par des locataires dans sept appartements disposant de grandes caves voûtées, de vastes greniers, mais aussi de jardins, cours et garages, est chargée de souvenirs et son histoire suscite bien des curiosités. Cette belle construction était en 1839 un petit établissement tenu par deux religieuses de La Providence, qui recueillaient des enfants abandonnés. L’épidémie de choléra de 1854 augmenta encore le nombre d’enfants orphelins. Touché par la misère et l’infortune des enfants abandonnés, l’abbé Molard, alors curé de la paroisse, décida d’agrandir la maison des deux religieuses et de fonder un orphelinat. Malgré les difficultés et la témérité de l’entreprise, mais avec le soutien de l’évêque de Langres, des souscriptions, des offrandes, et toutes les économies de l’abbé, son courage et sa volonté, les travaux commençaient le 1er juin 1863.

Sur un vaste terrain, la bâtisse principale et ses dépendances agricoles ont pu accueillir en moyenne 70 jeunes filles, « dont la vertu avait besoin d’être sauvegardée ; il fallait en même temps les former à la piété et à tous les travaux qui conviennent à leur sexe », lit-on dans les archives. Aux occupations ménagères viennent s’ajouter les travaux agricoles à la ferme Depetasse, louée à la sortie du village, une ferme de 30 ha de terres labourables et de 15 ha de prés. « Les jeunes filles doivent se livrer aux labeurs fortifiants des champs. Les plus fortes tiennent la charrue, conduisent les attelages, rentrent les foins, les blés, lient et chargent les gerbes, s’occupent des porcs et des bovins. La nuit suffit à peine au sommeil », constatent les treize religieuses qui les encadrent. On serait fatigué à moins… L’orphelinat était devenu une ferme-école, un établissement modèle à l’époque et donné en exemple, même par le ministre de l’Agriculture de l’époque.

La fin

Un incendie en 1890, puis la reconstruction du bâtiment, et l’âge (81 ans) eurent raison de la santé de l’abbé. Il fait don de l’établissement à la Congrégation des sœurs de la Charité. L’organisation et la vie de l’établissement se poursuivent encore. Mais en raison de la vague anti-religieuse du début du siècle et des rapports avec la population locale qui se dégradent, l’orphelinat va fermer ses portes. Le conseil municipal de l’époque qui devait donner son avis sur le maintien d’un établissement religieux « forme les vœux les plus sincères de s’en débarrasser ! » Le compte rendu d’une réunion (24 mars 1902) précise : « La congrégation cultive les meilleures terres et fait émigrer les cultivateurs du village qui ne peuvent lutter ; les terres s’étendent sans cesse et font une concurrence ruineuse pour les particuliers. Considérant qu’elle essaie d’éviter le fisc par toutes les ruses, si l’on ne supprime pas cette maison qui cache un but de luxe effréné sous le but philanthropique apparent d’orphelinat, les familles du pays vont partir ». Jugement sévère des élus qui savent pourtant que les établissements publics allaient avoir assez rapidement la capacité d’accueillir toutes les orphelines.

Pendant quelques années encore, le bâtiment sera occupé par les ouvriers, italiens, espagnols, polonais, attachés à la construction du canal de la Marne à la Saône. Elle fut pour finir vendue à des particuliers. L’aspect de la maison n’a pas changé. Les dépendances sont transformées aussi en logements et garages. Le quartier est encore animé, mais certainement moins qu’au temps de l’abbé Molard et de ses protégées.

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