L’hymne à la Môme
Respectivement Québécois et Hongrois, Steve Normandin et László Pusztai signent un ouvrage de référence sur l’œuvre d’Edith Piaf, la « Môme ». Préfacé par Isabelle Boulay, ce livre de 542 pages met en lumière la dimension internationale d’une icône méconnue, une femme usée par une vie menée tambour battant. Une artiste venue imposer son talent, le 20 décembre 1960, à Chaumont.
Jhm quotidien : Avant d’en venir à cet ouvrage, évoquons votre parcours. Vous êtes né au Canada, vous êtes actuellement au Québec, mais vous avez vos habitudes en France, notamment à Nogent où vous avez participé à plusieurs éditions du Festival Bernard Dimey…
Steve Normandin : Ma première venue en Haute-Marne remonte à une bonne quinzaine d’années. Au Québec, j’ai eu la chance de découvrir une série de dix émissions consacrée à Bernard Dimey, ce qui n’a d’ailleurs jamais été fait en France, je me suis alors lancé à la recherche de disques d’artistes interprétant des textes de Bernard Dimey.
De nos jours, avec Internet, on peut mener facilement des recherches, à l’époque, c’était plus compliqué, on savait peu de choses de Bernard Dimey. J’ai fini par dénicher un disque de Yves Montand avec un enregistrement de “Mais si je n’ai rien”. J’ai trouvé ce texte magnifique et j’ai décidé d’interpréter ce texte en 2001 dans le cadre d’un concours. J’ai remporté ce concours, Bernard Dimey occupe donc une place particulière dans ma vie.
Le concours était radiodiffusé par Radio Canada, mon interprétation a cappella a fait son petit bonhomme de chemin et a fini par arriver aux oreilles attentives de Philippe Savouret et Annie Roquis-Millet (fondateurs du Festival Bernard Dimey, Ndlr). Ils sont parvenus à entrer en contact avec moi.
Si mes souvenirs sont bons, je suis venu pour la première fois à Nogent en 2006. J’ai eu la chance de revenir avec mon accordéon et mon piano à plusieurs reprises, je garde d’excellents souvenirs de mes séjours à Nogent, j’ai pu découvrir la Haute-Marne dans toute sa générosité, dans toute sa beauté. J’ai tant d’anecdotes…
En 2010, à Nogent, j’ai pu rencontrer Francis Lai (compositeur et musicien français, notamment auteur de la musique des films “Un homme et une femme” et “Love Story”), à 78 ans, il était venu à moto depuis Paris, je lui ai demandé si nous pouvions jouer un peu d’accordéon, il m’a répondu qu’il ne jouait plus d’accordéon pour ménager son dos et continuer à faire de la moto. La France est mon deuxième pays, je vis depuis plusieurs années en Bretagne, à Perros-Guirec. Je suis marié à une de vos compatriotes ! A la place d’attendre trois ans pour que ma femme se voit attribuer des papiers au Canada, nous avons donc décidé de vivre en France.
Jhm quotidien : Dans la province de Québec, quelle place occupe la chanson française ?
Steve Normandin : Les artistes français ont toujours eu une cote d’amour impressionnante, la beauté de la langue française y est pour beaucoup, mais je pense que les artistes français sont surtout appréciés pour la qualité de leurs textes et de leurs musiques. Sans la chanson française, au Québec, après Félix Leclerc, nous n’aurions pas eu Claude Léveillée ou Jean-Pierre Ferland, ces artistes avaient Charles Trénet ou Stéphane Golmann pour modèles.
Les Francofolies sont arrivées à Montréal, de nombreux festivals dédiés à la chanson française sont organisés et les chanteurs français sont très populaires au Québec. L’amour de la chanson à texte est une véritable tradition, à Montréal ou à Québec, de nombreux artistes chantent dans les bars des textes d’artistes français d’hier au d’aujourd’hui. Gérard Morel est peut-être plus connu au Québec qu’en France ! Barbara, Mouloudji, Ferré, Renaud ou Reggiani sont des artistes très appréciés au Québec, par les anciennes comme les jeunes générations, ces artistes font partie de notre quotidien.
Récemment, chez un disquaire, à Québec, je suis tombé sur un disque de Jacques Debronckart, un artiste complètement oublié en France, le temps d’aller tirer de l’argent au distributeur, le disque avait été vendu à un étudiant.
« Un disque de Piaf, et là, ça a été le choc »
Venons-en à Edith Piaf. Peu de musiciens français, en dehors de Charles Aznavour, Charles Trénet, Jean-Michel Jarre ou Daft Punk, sont connus dans le monde entier, Edith Piaf a gagné l’ensemble des continents et enregistré des albums dans de multiples langues…
Steve Normandin : Edith Piaf, c’est d’abord une rencontre… Enfant, à la maison, j’écoutais des 33 ou des 45 tours, je suis parti à la recherche de 78 tours et suis tombé sur un disque de Piaf, et là, ça a été un choc, j’ai écouté ce disque en boucle, au-delà de la beauté des textes et de la voix de Piaf, j’ai également découvert une autre façon de jouer de l’accordéon, un autre univers.
En faisant des recherches, je suis tombé sur des écrits consacrés à Edith Piaf, au fil des années, je n’ai jamais interrompu mes recherches. Edith Piaf était très populaire en France, au Québec, elle était très écoutée, mais elle a également triomphé aux Etats-Unis avec des textes interprétés en français ou en anglais.
Edith Piaf renvoie à tant de choses, je me suis notamment intéressé à sa gestuelle. On retrouve la dimension internationale et intergénérationnelle d’Edith Piaf dans ce livre, je suis Québécois, László Pusztai est Hongrois, il ne parle pas du tout français et pourrait être mon fils, mais nous partageons la même passion et la même admiration pour cette artiste.
Quel a été votre objectif dans le cadre de la préparation de ce livre, d’ores et déjà considéré comme un ouvrage de référence ?
Steve Normandin : Beaucoup de choses ont été écrites sur Piaf, un film lui a été consacré, les documentaires sont également nombreux, mais curieusement, il n’existait pas un catalogue complet de son œuvre. Je collectionne des disques et des partitions d’Edith Piaf depuis 30 ans, j’avais des éléments en ma possession, mais j’ai décidé de me lancer dans des recherches plus approfondies en compagnie de László Pusztai.
Ces recherches ont duré plus de trois ans ! László s’est notamment penché sur la tournée d’Edith Piaf en Amérique du Sud, un épisode de sa vie assez méconnu. Nous avons amassé un maximum d’informations. Cet ouvrage n’est pas une biographie, il s’agit d’un catalogue, nous n’avons pas souhaité nous concentrer sur les triomphes ou les déconvenues rencontrés par Edith Piaf, sur le côté people du personnage, notre objectif a été de combler certaines lacunes, de parler de ses concerts en Argentine ou dans d’autres pays, de ses enregistrements en anglais.
Des enregistrements apparus après sa mort dont certains sont d’une qualité exceptionnelle. Edith Piaf a multiplié les enregistrements et les tournées au cours de sa vie, certains enregistrements très connus, d’autres beaucoup moins.
La Môme : face lumineuse et face sombre
Edith Piaf est considérée par beaucoup comme la plus grande interprète française, le parcours de cette artiste renvoie également à ses souffrances, à une enfance difficile dans une maison close, à sa toxicomanie et à ses liens avec la pègre, en France comme ailleurs…
Steve Normandin : Edith Piaf a tenté de s’éloigner de cet environnement malsain, mais elle y a été longtemps confrontée, même en à l’occasion de sa tournée à Cuba, la pègre a toujours tourné autour d’elle. Les liens de cette artiste avec le milieu ont fait couler beaucoup d’encre, mais ces liens sont finalement futiles, ce qui l’emporte, c’est le talent d’Edith Piaf.
Des biographes, je pense, à Pierre Duclos et plus récemment Robert Belleret, ont apporté de nombreuses réponses sur les liens d’Edith Piaf avec la pègre, de notre côté, nous avons décidé de nous concentrer sur le processus de création, sur les enregistrements, sur les tournées à l’étranger ou sur ses passages sur les plateaux de télévision, c’est à mon sens, l’intérêt de cet ouvrage.
Beaucoup d’informations ont été communiquées plusieurs années après la mort d’Edith Piaf. Pour des questions liées aux différentes formats des disques, des enregistrements en public comprennent huit dix titres alors qu’Edith Piaf en interprétaient douze ou quatorze sur scène, grâce à nos recherches, il nous a été possible de reconstituer ses tours de chant, d’établir quelles chansons étaient interprétées sur scène, dans quel ordre.
Quand on a documenté les albums des Olympia de Piaf, on a compris qu’ils sont tous tronqués, faute de place, au fil de sa carrière, Edith Piaf a également voulu imposer des chansons plus longues et laisser la place sur les enregistrements aux applaudissements témoignant de son triomphe, on retrouve donc des 33 tours comptant huit ou neuf chansons.
Grâce à nos recherches, nous savons désormais ce qu’Edith Piaf a chanté à L’Olympia en 1962. Sur une photographie, on aperçoit un grand carton la liste des chansons. On constate que le titre “Emporte-moi“ n’a pas été retenu dans le cadre de la sortie du disque.
Propos recueillis par Thomas Bougueliane
“L’hymne à l’amour”, une dernière fois, à Chaumont ?
Maxime Leforestier, Robert Charlebois, Guy Béart, Mano Solo, Johnny Hallyday, Jacques Higelin, Isabelle Aubret, Jean Ferrat… De grands noms de la chanson francophone ont donné des concerts en Haute-Marne. Léo Ferré s’est notamment produit à Chaumont et Saint-Dizier dans les années 1960 et 1970.
Et Edith Piaf dans tout ça ? L’artiste a donné un concert, à Chaumont, le 20 décembre 1960, moins de trois ans avant sa mort. Imaginez un peu, “Les mots d’amour”, “Mon Dieu”, “Non je ne regrette rien”, “La foule”, “Milord”… Un enregistrement sonore de concert est apparu sur YouTube en janvier 2022. Un enregistrement authentifié.
« Edith Piaf avait pour habitude de lancer ses tournées dans l’Est de la France. Cet enregistrement apporte certaines informations, notamment sur un plan musical, on sent que certaines choses ne sont pas encore forcément au point, je pense par ailleurs que la bande originale a été retravaillée », souligne Steve Normandin.
D’où vient l’enregistrement du concert donné à Chaumont ? « Il semblerait que le document soit en possession d’Anthony Berrot, l’héritier de Marc et Danielle Bonel, l’accordéoniste et la dernière secrétaire et éclairagiste de Piaf. Ce ruban n’était pas destiné à la publication d’un disque, il était destiné à Edith Piaf afin de perfectionner son retour à L’Olympia ! »
Le concert donné à Chaumont le 20 décembre 1960 pourrait prendre une dimension historique. Et pour cause… « Il semblerait, selon toute vraisemblance, qu’il s’agisse de la dernière interprétation en public de “L’hymne à l’amour”, pour des questions de santé, il était difficile pour Edith Piaf d’interpréter ce titre à la fin de sa carrière, pour ne pas montrer qu’elle était diminuée, elle a fait des coupes dans son répertoire.
La dernière trace dont j’ai connaissance d’une interprétation en public de “L’hymne à l’amour” renvoie à ce concert à Chaumont, nous en avons la trace sonore », précise Steve Normandin.