L’homme qui murmure à l’oreille des lézards
Nature. Originaire du Nord-Haute-Marne (Chamouilley et Eurville) Quentin Horta-Lacueva est chercheur et biologiste dans une université suédoise. Globe-trotter de la nature, ce trentenaire est aussi impliqué localement dans des associations de protection de la nature autour de Saint-Dizier. Rencontre.
On pourrait le définir comme herpétologue car il étudie les reptiles et amphibiens, comme le sonneur à ventre jaune et le lézard des murailles. Ou le qualifier d’ichtyologue car sa thèse a porté sur un poisson, l’omble chevalier. Enfin le désigner comme primatologue, car il a analysé le mode de vie des samangos, ces singes au faciès si particulier.
Si l’on abandonne le suffixe en logue, qui signifie “spécialiste de”, il est tout simplement naturophile, celui qui aime la nature. Il, c’est Quentin Horta-Lacueva, chercheur et biologiste. Le trentenaire est originaire d’Eurville, mais ses racines se trouvent à Chamouilley. jhm quotidien a plongé avec lui dans les arcanes d’une passion.
jhm quotidien : A la Fête de la nature en mai à Chamouilley, vous avez fasciné l’auditoire par l’étendue de votre savoir et la simplicité avec laquelle vous avez expliqué la vie dans les mares. D’où vous vient cet enthousiasme ?
Quentin Horta-Lacueva : J’allais au bois avec mon grand-père maternel et mon oncle Martial, j’ai pris l’habitude d’y barouder. Attiré par les ornières, les mares, j’aimais y farfouiller. Le dimanche, j’allais pêcher au leurre et à la mouche.
jhm quotidien : Quel a été votre cursus scolaire ?
Q H-L : Après l’Estic, il y a eu le lycée agricole à Bar-le-Duc et la terminale au lycée de Saint-Laurent (Ardennes), qui proposait une spécialité intéressante, l’aménagement du territoire.
jhm quotidien : Comment vous êtes-vous spécialisé ?
Q H-L : j’ai obtenu une licence en biologie et sciences de l’environnement à l’université de Lorraine à Metz puis un master en biologie et en science du comportement à l’université de Bourgogne- Franche-Comté à Dijon.
jhm quotidien : Sur quel sujet portait votre mémoire ?
Q H-L : Sur les singes samangos. Je suis allé en Afrique du Sud, dans la province du Limpopo, au centre de recherches de Lajuma, pour un projet de conservation de cette espèce car il y avait des problèmes de collisions routières. D’abord, j’ai étudié leurs habitudes, les endroits où ils traversent pour déterminer où établir des infrastructures garantissant leurs traversées routières. Ensuite, je me suis spécialisé dans le comportement animal pour savoir comment la végétation forestière, en modifiant le risque de prédation, conditionne les samangos dans l’utilisation de leur territoire.
jhm quotidien : Ces cinq années d’études ont-elles renforcé votre conviction d’avoir pris la bonne voie ?
Q H-L : Oui, cela a conforté mes choix ! J’ai de plus effectué un service civique de six mois au sein de la LPO (Ligue de protection des oiseaux) à Outines. L’environnement spécifique du lac du Der m’a fortement intéressé et j’ai travaillé sur le sonneur à ventre jaune comme technicien salarié de la LPO.
jhm quotidien : Puis est venu l’appel de l’Arctique !
Q H-L : Je suis parti cinq ans en Islande, à l’université de Reykjavik. J’ai élaboré une thèse de doctorat sur l’évolution des espèces qui, partant d’une même population ou d’un même animal, peuvent se diversifier sous l’effet de la sélection naturelle. Je me suis focalisé sur l’omble chevalier, un salmonidé comme la truite ou le saumon. Je l’ai étudié dans le plus grand lac naturel d’Islande, le Thingvallavatn, au sud-ouest de l’île. Il s’est formé après le retrait des glaciers, il y a 10 000 ans et ces conditions particulières ont permis à l’omble chevalier de rapidement former quatre sous-espèces.
jhm : Vous êtes désormais installé en Suède ?
Q H-L : Oui, depuis septembre, je suis chercheur en post-doctorat à l’université de Lund. J’ai intégré un laboratoire de recherches qui étudie l’interaction entre l’embryologie, l’environnement et l’évolution. Je travaille sur les lézards.
jhm quotidien : En Suède ?
Q H-L : Pas seulement ! Le lézard des murailles est présent en France, mais aussi en Italie. Il présente beaucoup de variations morphologiques. Des populations ont divergé en Italie, avec des lézards d’un vert soutenu et aux grosses mâchoires. J’ai étudié ces populations au sud de Rome, ainsi qu’au Maroc où l’on pense que le même phénomène se produit chez une espèce proche. En partenariat avec l’université de Marrakech, j’ai sillonné l’Atlas et séjourné à Oukaïmeden.
jhm quotidien : Comment se déroule votre journée-type ?
Q H-L : Cela dépend de la saison. Au printemps, il faut capturer les lézards, les mesurer, échantillonner l’ADN et les relâcher. Puis vient le travail de labo avec les analyses. Il y a aussi la rédaction d’articles scientifiques et enfin le travail administratif. Je donne aussi des conférences.
jhm quotidien : Le travail en labo n’est-il pas fastidieux ?
Q H-L : Il est très important ! Seul chercheur de mon groupe focalisé sur la morphologie des os, j’irai en Allemagne, à Bonn, où se trouve une collection de plusieurs milliers de lézards. Le museum possède un scanner à rayons X très performant qui permet d’observer des variations de la forme des os de l’ordre du millimètre. On pense qu’une migration de cellules impliquées à la fois dans le développement du crâne, du cerveau et de la peau influe sur l’évolution des espèces. C’est peut-être ainsi que la domestication a pu se faire, en particulier chez l’Homme dont on voit les différences avec les autres primates modernes (réduction de la mâchoire, comportement plus social). Les mêmes traits sont observés sur les lézards.
jhm quotidien : Y a-t-il un lien entre ces espèces et la vie humaine ?
Q H-L : Oui, et ces études tendent à le montrer avec plusieurs objectifs. Pour ma part, c’est de la recherche théorique fondamentale. J’observe un phénomène qui permet d’expliquer le développement et l’évolution des espèces. Il peut y avoir aussi des applications médicales. Par exemple, les cellules que j’étudie chez le lézard peuvent être impliquées dans des anomalies qu’on observe également chez les humains, comme les enfants qui naissent avec une malformation de la mâchoire. J’ai des collègues au Canada qui sont financés par un hôpital pour enfants. Il y a en outre l’aspect conservation, la capacité des espèces à se diversifier et s’adapter à l’environnement.
Propos recueillis par notre correspondante Catherine Millot
Une action locale dans le Nord-Haute-Marne
En parallèle à son activité de chercheur, Quentin poursuit son action en faveur du sonneur à ventre jaune, entreprise il y a un an avec Nature Haute-Marne, Belles Forêts sur Marne et la LPO, en particulier avec Fanny Boissier, chargée de mission. Il cartographie les sites favorables, liste les propriétaires qu’il contacte tout comme les acteurs locaux, gestionnaires ou mairies. « C’est une espèce protégée, chacun pourra envisager une sauvegarde efficace en cas de travaux tout en bénéficiant de notre support scientifique et technique », ajoute Quentin.
« C’est un projet à long terme, le but étant de faire de la forêt du Val un cas d’école sur la manière de concilier la conservation de ces zones humides et l’intensification des activités sylvicoles ». Petit clin d’œil écologique, sauf impossibilité, Quentin voyage en train, naturellement.