L’éthique du journaliste, par Eric Fottorino
Dans le cadre de la 33e Semaine de la presse et des médias à l’école, le Mémorial Charles-de-Gaulle a organisé, en partenariat avec l’Académie de Reims, son onzième Forum histoire et médias, vendredi 25 mars. Huit classes, soit 182 élèves (collégiens et lycéens) et douze professeurs se sont connectés pour assister en distanciel à la conférence de l’écrivain et journaliste Eric Fottorino.
Un an après le témoignage vivifiant de Pascal Manoukian, ancien reporter de guerre et écrivain humaniste, les élèves de Colombey, Chaumont, Vitry-le-François et Joinville ont à nouveau bénéficié d’un exposé très instructif. En retraçant pendant une heure l’histoire de la presse écrite française, depuis ses origines (en 1836, avec la création du premier véritable journal de l’époque contemporaine, La Presse) jusqu’aux bouleversements récents engendrés par l’ère du numérique, Eric Fottorino a dessiné de façon magistrale ce qu’a été le journalisme de presse écrite à ses débuts et de quelle façon il s’est transformé au fil du temps. Son récit, qu’il a émaillé d’anecdotes personnelles à forte teneur symbolique, a permis aux jeunes de comprendre les enjeux et les mutations du paysage médiatique contemporain. Ainsi, ils ont pu apprendre que la floraison des premiers journaux de presse écrite populaires a été induite par l’arrivée de la publicité, conjointement au développement des technologies et de l’industrie : « Dès lors que la publicité entre dans les journaux, le prix est divisé de moitié. La Presse se vend aux lecteurs mais aussi aux annonceurs. Emile de Girardin, son fondateur, a permis aux journaux de s’éloigner d’une certaine forme d’élitisme. L’introduction de la publicité est un véritable coup de tonnerre. De plus, les nouvelles rotatives à vapeur impriment en continu des milliers d’exemplaires ». Avant guerre, des centaines de journaux voient ainsi le jour, mais « une grande partie d’entre eux développent les idées du patronat et du capitalisme ».
Directeur du Monde
Après la Deuxième Guerre mondiale, les ordonnances de 1944 laissent place à un plus grand pluralisme, à une plus grande liberté démocratique, à plus d’indépendance également. « A l’époque, un propriétaire n’avait pas le droit d’avoir plus de deux journaux en sa possession », a ajouté le journaliste. Ce statut est extraordinaire mais il a en quelque sorte « acté sa faiblesse du point de vue économique ». Les 30 glorieuses voient fleurir de nombreux journaux aux couleurs différentes tels que Le Figaro, l’Humanité et La Croix. Toute une panoplie de mesures va permettre à la presse française de trouver un public de plus en plus large, et ce jusqu’en 1973. A partir de cette époque déjà, on observe une baisse des diffusions : « les Français lisent moins la presse, aussi parce qu’elle devient plus chère ». En illustrant son récit de nombreux exemples historiques et de témoignages personnels, Eric Fottorino a ensuite expliqué aux élèves l’histoire de son journal, Le Monde, pour lequel il a travaillé pendant 25 ans à partir de 1986, et qu’il a dirigé de juin 2007 à février 2011.
Pédagogie et intelligence
Après avoir déploré la puissance de la communication, « qui est une autre forme de la propagande », ainsi que la défiance actuelle du public envers toutes les formes d’autorité, le journaliste estime qu’il est néanmoins toujours possible d’informer le lectorat avec pédagogie et intelligence, en tentant d’expliquer la “complexité du monde”, pour reprendre la formule d’Edgar Morin, l’un des collaborateurs du journal qu’Eric Fottorino a fondé en 2014 avec Laurent Greilsamer, le 1. En plus de cet hebdomadaire, Eric Fottorino a cofondé les Trimestriels America (2017), Zadig (2019) et Légende (2020). Le dernier numéro de Légende (janvier 2022) est d’ailleurs consacré à Charles de Gaulle.
De notre correspondante
Aurélie Chenot
« Il faut sentir que notre vie en dépend »
S’il n’a pas fait d’école de journalisme, Eric Fottorino a étudié le droit avant d’intégrer Science Po. Très timide à l’âge de 19 ans, il s’est construit en tant que journaliste au Monde : « Etre journaliste c’est toujours être bousculé (…) ; pour moi, le doute vient avant la curiosité », a-t-il affirmé à un élève qui lui demandait quelles sont les qualités requises pour être un bon journaliste. « Il faut toujours être capable de faire la part des choses, ne pas se raconter d’histoire. Un journaliste n’a pas d’amis. A partir du moment où on a des amis, on perd notre indépendance. C’est l’esprit critique qui vient en premier, il faut sentir que notre vie en dépend ».
Un écrivain prolifique
Pour Eric Fottorino, le roman est un moyen très efficace pour comprendre le monde qui nous entoure et pour dénoncer des situations. Lecteur passionné, il s’est nourri des grands textes de la littérature à chacun de ses déplacements à l’étranger. Auteur d’une quinzaine de romans, il a reçu de nombreux prix littéraires, dont le prix Femina et le prix François-Mauriac. Son dernier roman, “Mohican”, publié en septembre 2021, a reçu le prix Lamartine des Départements de France, ainsi que le prix Terres de France et le prix des lecteurs de Ouest-France.