Les têtes de lion du viaduc de Chatonrupt-Sommermont

Construit en 1892 par la Compagnie des Chemins de fer de l’Est, le viaduc ferroviaire de la vallée de Sommermont, à proximité de Chatonrupt, appartenait à l’ancienne ligne stratégique entre Brienne-le-Château (Aube) et Sorcy (Meuse).

Le relief accidenté de la Haute-Marne a contraint les ingénieurs à construire divers ouvrages d’art pour cette ligne de 102 km. Elle se destinait à transférer des troupes vers l’Est en cas de guerre avec l’Allemagne. Le viaduc de Chatonrupt constitue le plus majestueux de la ligne : il comprend six piliers et sept arches, tandis que sa longueur est de 138 m. Sa plus haute arche culmine à 35 m. L’ouvrage enjambe la D 332 qui relie les deux villages associés en longeant le ruisseau de Sommermont.

Or, des gargouilles murales “têtes de lion”, en fonte, sont placées en vis-à-vis sous la voûte de certaines arches. Elles permettaient l’écoulement des eaux de ruissellement provenant du ballast. L’hiver, leurs gueules s’ornaient de stalactites de glace de plus d’un mètre de longueur, mais le drainage a été modifié lors de la création de la nouvelle RN 67 en 1995. De la même façon, les garde-fous en fonte du viaduc ont été prélevés pour l’élargissement du tablier, afin de l’adapter à la circulation routière.

Certaines de ces barrières, fabriquées à l’usine Capitain-Gény (aujourd’hui Ferry-Capitain) de Vecqueville-Bussy ont été récupérées par la municipalité. On peut en apercevoir avenue de la Marne, à Chatonrupt, aux abords de la place Delphine, ainsi que sur le petit pont du ruisseau, près du viaduc (jhm quotidien de dimanche 20 août). Les emplacements très élevés des têtes de lion les protègent : elles sont hors d’atteinte, ce qui empêche d’identifier leur origine.

Les têtes de lion “purifient” l’eau

Les garde-corps étant estampillés “Bussy-sur-Marne”, il est probable que les têtes de lion y ont été fondues. Les liens entre l’entreprise de Vecqueville et Chatonrupt sont très anciens : le 3 octobre 1830, Auguste Capitain a été élu, en mairie, capitaine de la compagnie de la Garde nationale rurale de Chatonrupt et des “deux Autigny”. L’année suivante, le capitaine Capitain créa son entreprise avec son frère Elophe, grâce à l’accord du roi des Français Louis-Philippe I^er.

Par la suite, les deux associés exploitèrent du minerai de fer sur le finage de Chatonrupt, ce qui occasionna bien des vicissitudes dans ce village viticole. La municipalité hérita de 2 000 francs à la suite du décès d’Edmond Capitain-Gény (fils d’Auguste) survenu en 1919 ; Sommermont reçu 1 000 francs. Ces sommes, importantes pour l’époque, se destinaient aux nécessiteux. Selon une croyance de l’Antiquité romaine, l’eau qui jaillit d’une fontaine en “tête de lion” devient potable. La Renaissance italienne a repris ce style pour les pièces d’eau destinées aux jardins des châteaux. Les bâtisseurs du viaduc de Chatonrupt n’ont fait que perpétuer cette coutume immémoriale afin d’agrémenter l’ouvrage pour le plaisir des passants.

De notre correspondant Patrick Quercy