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Les racines du mal

Contexte

Comme dans de nombreux dossiers présentés devant le tribunal correctionnel, cette affaire implique de jeunes haut-marnais résidant en milieu rural (Langres, Chalindrey, Marcilly-en-Bassigny et Rangecourt). Les cinq prévenus ont été interpellés au terme d’une longue enquête. Profitant de la mise sur écoute des lignes téléphoniques des co-auteurs, les gendarmes sont parvenus à lever le voile sur les activités de quatre hommes et une jeune femme confrontés à une grave situation de dépendance.

David Murphy et Mark Renton ont ainsi multiplié les voyages à Metz et en Belgique entre décembre 2009 et décembre 2012. Les deux hommes ont reconnu avoir importé plus de sept kilos d’héroïne. Tappy Tibbons, Harry Goldfarb et Marianne Silver ont également importé – en quantité moindre – de l’héroïne sur le territoire français. La majeure partie de ces quantités répondait aux besoins de prévenus consommant individuellement jusqu’à 150 grammes d’héroïne par mois. La vente de doses à des proches leur permettait également de financer leur consommation.

Présentés en comparution immédiate devant le tribunal correctionnel le 20 décembre 2012, les prévenus avaient fait valoir leur droit à préparer leur défense. David Murphy et Tappy Tibbons avaient alors été placés en détention dans l’attente de leur prochaine comparution. Harry Goldfarb, Mark Renton et Marianne Silver. avaient été placés sous contrôle judiciaire.

Ce dossier a une fois de plus mis en lumière les difficultés à rompre avec la dépendance toxicomanique, difficultés accentuées par un manque de moyens humains et matériels en matière d’aide et d’accompagnement des toxicomanes. Placé en détention dans le cadre d’un précédent dossier, Tappy Tibbons a ainsi replongé moins de deux mois après sa sortie de prison. Le jeune homme n’avait profité d’aucun suivi à sa sortie de prison.

 

Compte-rendu d’audience

Les racines du mal

Marqué par les brillantes plaidoiries de quatre avocats dénonçant la relative impuissance des pouvoirs publics face au problème de la toxicomanie, un énième dossier de stupéfiants aura abouti à des condamnations à des peines mesurées, le tribunal écartant les dix années de prison requises à l’encontre d’un des prévenus.

«Je vais être un peu provocante, allez-y pour quatre ans ou dix ans, les maisons d’arrêts sont saturées, mais les moyens de sevrage et d’accompagnement vont être améliorés en prison, vous pouvez y croire ! Allez-y, allez-y pour quatre ans ou dix ans ! Vous avez à traiter les situations de malades, pas de grands trafiquants vendant leur merde à la sortie des collèges, ces trafiquants chez qui on trouve écrans plats et belles voitures. (…) On vous demande de pallier à l’incompétence totale de nos hommes politiques, des hommes politiques de tous bords, ces personnes sont conscientes des problèmes générés par la proximité du Luxembourg, de la Belgique et des Pays-Bas, mais que font-elles hormis mobiliser d’énormes moyens pour organiser des contrôles routiers et faire quelques saisies ? L’Europe a été créée afin de construire plein de belles choses, mais l’héroïne, cette merde, continue à tuer ! Qu’on ne veuille pas contrarier l’ami marocain, allez, passons, mais que fait-on au cœur de l’Europe, que fait-on hormis de demander au tribunal de Chaumont de faire un exemple ? Depuis quinze ans, la drogue frappe ce département, cette merde touche tout le monde, toutes les classes sociales, en ville comme à la campagne et on vous demande à vous de trouver une solution que vous ne pourrez pas trouver, votre solution ne sera qu’un pansement sur une jambe de bois ! Le Centre de soins et d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) est saturé, alors dites-moi, qu’allons-nous faire de ces jeunes ?»

Dans la droite lignée des interventions de Maîtres Tribolet, Grosjean et Charlot, la plaidoirie de Me Gambini aura témoigné de la relative impuissance des pouvoirs publics face au fléau grandissant de la toxicomanie. Quand douaniers ou gendarmes multiplient fouilles ou tests salivaires, l’héroïne importée par centaines de tonnes des plaines afghanes se vend à moins de dix euros sur les trottoirs de Liège ou Maastricht. Quelques centaines de kilomètres plus loin, de rares élus, foule de travailleurs sociaux et nombre de médecins généralistes constatent les ravages de la toxicomanie et l’absence de moyens susceptibles d’endiguer un désastre dénoncé – en vain – depuis plus de dix ans.

Dix ans requis contre un multirécidiviste

Enième affaire de stupéfiants, le dossier présenté, lundi après-midi, devant le tribunal correctionnel avait pour tristes acteurs un gamine de 22 ans accrochée à son BTS en alternance, un petit gars du Pays de Langres portant les stigmates de son naufrage, un demandeur d’emploi sorti de prison et rapidement rattrapé par ses démons, un pseudo caïd abruti par sa dépendance et un multirécidiviste, un homme apprécié de collègues et employeur, un père de famille réduit à multiplier les voyages en Belgique «pour éviter les vomissements, pour tenir debout, pour pouvoir se lever le matin et aller au boulot», un malade frappé par les dix années de détention requises par le procureur Bellet au terme d’un réquisitoire lourd de sens venu foudroyer les esprits de parents, proches et avocats des prévenus.

Otages de diverses failles étrangères au système judiciaire, trois juges auront rendu justice au nom du peuple français. Condamné à quatre ans de prison ferme dont douze mois assortis d’un sursis avec mise à l’épreuve (SME), David Murphy devra notamment respecter des obligations de soins à sa sortie de détention. Respectivement sanctionnés de peines de quatre années de prison dont deux ans assortis d’un SME et deux ans de détention dont douze mois assortis d’un SME, Harry Goldfarb et Tappy Tibbons ont été conduits en maison d’arrêt au terme de l’audience. Condamné à trois ans de prison dont douze mois assortis d’un SME, Mark Renton a quant à lui été remis en liberté dans l’attente d’un éventuel aménagement de peine. Présentant régulièrement des analyses sanguines – négatives – à son employeur dans le cadre d’un BTS en alternance, Marianne Silver a écopé d’une peine de douze mois de prison intégralement assortie d’un SME incluant des obligations de soins et une interdiction d’entrer en contact avec ses anciens compagnons de déchéance.

 

Extraits du réquisitoire du procureur Bellet

Procureur Bellet : «Ce trafic s’est étendu sur plusieurs années. Les liens entre ces prévenus aux personnalités disparates posent problème. (…) Mylène Silver n’est pas visée par la récidive, des analyses sont versées au dossier, cette jeune femme dispose d’un contrat de travail, mais je ne suis pas persuadée qu’elle soit détachée des quatre co-prévenus. Je requiers une peine de deux ans d’emprisonnement dont un ans assorti d’un sursis avec mise à l’épreuve d’une durée de trois ans incluant des obligations de soins, de travail ou de formation et une interdiction d’entrer en contact avec les coauteurs. En ce qui concerne monsieur Renton, l’usage a été commis en récidive, il a suivi une cure avant son interpellation, mais le sevrage va être compliqué, la volonté ne suffit pas. Monsieur Renton a un contrat de travail, certes, mais il l’avait déjà avant. (…) Je requiers à son encontre trois ans de prison ferme et un mandat de dépôt. Monsieur Goldfarb n’est pas le plus impliqué, mais c’est lui qui se moque de nous. Il a été condamné par le passé à multiples reprises, notamment pour trafic. (…) Monsieur Goldfarb a déjà été condamné à un an de prison avec sursis, il n’a pas de travail, pas de logement et pas de projet. Je vous demande de le condamner à quatre ans de prison ferme et je requiers un mandat de dépôt. Monsieur Tibbons est en récidive, il a déjà été condamné à trois ans de prison dont une partie assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve, la peine plancher est de quatre ans, la peine maximale encourue est de vingt ans et je vous demande de le condamner à quatre ans de prison ferme et de le maintenir en détention. Monsieur Murphy est dans une situation pénale délicate, il a déjà été condamné à quatre reprises pour des faits de trafic, il affiche des garanties de réinsertion, mais ils les avaient déjà pendant qu’il organisait ce trafic. Je rappelle également que 150 comprimés de Subutex ont été trouvés à son domicile. Je requiers une peine de dix ans et un maintien en détention.»

 

Extraits de la plaidoirie de Me Tribolet, avocat de Mark Renton

Me Tribolet : «En décembre dernier, le tribunal a décidé de placer monsieur Renton sous contrôle judiciaire dans l’attente de cette audience, une main lui a été tendue, le contrat de confiance a été respecté et une dynamique s’était instaurée avant cette première audience puisque monsieur avait de lui-même décidé de suivre une cure. Son état est stabilisé, mais cet homme ne sera jamais guéri, il demeurera abstinent ! (…) Monsieur Renton n’est pas ancré dans la délinquance, il est malade, mais il est honnête. (…) Les réquisitions sont relativement importantes et ce tribunal n’a pas à être pris en otage parce que la presse est présente. La prison n’est pas une solution, la démonstration en a été faire au cours de cette audience. La prison n’est pas un remède, penser que la détention peut régler le problème de ces malades est une hérésie. (…) Monsieur Renton est édenté, il n’a aucun plaisir à consommer. (…) La peine requise s’avère inadaptée. La dernière fois que j’ai entendu un procureur requérir dix ans de prison, nous étions devant une Cour d’assises, l’accusé répondait d’une tentative d’assassinat. La dernière fois que j’ai entendu dans cette juridiction un procureur requérir trois ans de prison, le tribunal correctionnel traitait le dossier d’un homme s’étant introduit dans le domicile de personnes âgées avant de les ligoter et de les frapper pour les dépouiller de leurs biens. Les stupéfiants, monsieur Renton en crève, d’autres tabassent des personnes âgées… En matière de toxicomanie, l’équation est facile à poser et difficile à résoudre. Monsieur consommait cinq grammes par jour, il y a trente jours dans un mois, en achetant le gramme trente euros sur le territoire français, il faut 4 500 euros par mois pour parvenir à pouvoir se lever le matin ! En se rendant en Belgique où le gramme est venu 12 euros, il faut 1 800 euros par mois, même en travaillant, monsieur ne pouvait pas financer sa consommation. Pour consommer gratuitement sans en tirer le moindre bénéfice, pour tenir debout et aller travailler, il faut vendre plusieurs centaines de grammes par mois. (…) Monsieur est la première victime de son comportement, cet homme est malade, l’orienter vers des oins aurait été plus adapté que de se limiter à requérir une peine de prison ferme. Vaut-on exclure cet homme de la société ? Si la réponse est “oui”, la prison est la réponse. Faut-il casser un ancrage professionnel assuré par un employeur très humain ou prononcer une sanction ouverte à un aménagement de peine ? Si monsieur va en prison, il n’aura plus rien le jour où il ressortira. Pour être comprise par tout le monde, une peine doit être utile, pour tout le monde.»

 

Extraits de la plaidoirie de Me Grosjean, avocat de Tappy Tibbons

Me Grosjean : «Aucun élément ne permet de parler de trafic, nous parlons uniquement de consommation personnelle et d’échanges qualifiés de dépannages. La drogue est un fléau, ce fléau existe, mon client consomme depuis l’âge de vingt ans, le problème est plus médical que pénal. (…) Monsieur Tibbons a été incarcéré en 2011, il est remis en liberté et un mois et demi plus tard, il replonge, c’est dire à quel point une maison d’arrêt n’est pas adaptée à traiter des problèmes de la toxicomanie ! Monsieur est ressorti de sa maison d’arrêt et n’a fait l’objet d’aucun suivi et d’aucun accompagnement, c’est un constat ! Ces personnes sont-elles de grands délinquants ? Dans ce dossier, il n’y a aucune atteinte à l’intégrité d’une personne.»

 

Extraits de la plaidoirie de Me Charlot, avocat de Harry Goldfarb

Me Charlot : «L’attitude de monsieur peut paraître choquante, mais cet homme a petit à petit perdu ses facultés intellectuelles, on peut être agacé par ses sourires, mais monsieur ne se moque pas de votre juridiction. (…) On le pensait être le plus gros dealer de Chalindrey, mais l’organigramme est bien différent. Comment peut-on résister à la tentation lorsqu’on est malade ? Comment s’en sortir, ne pas replonger dans une petite ville, dans un milieu restreint ? (…) Monsieur a effectué cinq voyages en douze mois et on a retrouvé 1,28 gramme d’héroïne chez lui. Si c’était le plus grand dealer de Chalindrey… (…) Pour ces malades, l’important est de sortir de leur environnement, de quitter leurs amis et d’être pris en charge par un médecin spécialisé, pas vers un généraliste n’étant pas dans la capacité de gérer ce genre de situation ! Prescrire pour prescrire n’est pas une solution adaptée, le Subutex et la Méthadone ne font pas tout ! Monsieur a quitté Chalindrey, à Dijon, il a pu être orienté vers un médecin spécialisé et il a repris le chemin de la recherche d’un emploi. (…) Comment peut-on requérir un mandat de dépôt après avoir accordé un contrôle judiciaire à mon client dans l’attente de cette audience ? Les réquisitions m’apparaissent injustes ! (…) Pour que la justice soit comprise, progressive et juste, soumettre ces personnes à des obligations de soins me semble efficace. La détention permet juste le sevrage, mais une fois dehors, on a toute les chances de replonger !»

 

Extraits de la plaidoirie de Me Gambini, avocate de David Murphy et Marianne Silver

Me Gambini : «Je vais être un peu provocante, allez-y pour quatre ans ou dix ans, les maisons d’arrêts sont saturées, mais les moyens de sevrage et d’accompagnement vont être améliorés en prison, vous pouvez y croire ! Allez-y, allez-y pour quatre ans ou dix ans ! Vous avez à traiter les situations de malades, pas de grands trafiquants vendant leur merde à la sortie des collèges, ces trafiquants chez qui on trouve écrans plats et belles voitures. (…) On vous demande de pallier à l’incompétence totale de nos hommes politiques, des hommes politiques de tous bords, ces personnes sont conscientes des problèmes générés par la proximité du Luxembourg, de la Belgique et des Pays-Bas, mais que font-elles hormis mobiliser d’énormes moyens pour organiser des contrôles routiers et faire quelques saisies ? L’Europe a été créée afin de construire plein de belles choses, mais l’héroïne, cette merde, continue à tuer ! Qu’on ne veuille pas contrarier l’ami marocain, allez, passons, mais que fait-on au cœur de l’Europe, que fait-on hormis de demander au tribunal de Chaumont de faire un exemple ? Depuis quinze ans, la drogue frappe ce département, cette merde touche tout le monde, toutes les classes sociales, en ville comme à la campagne et on vous demande à vous de trouver une solution que vous ne pourrez pas trouver, votre solution ne sera qu’un pansement sur une jambe de bois ! Le Centre de soins et d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) est saturé, alors dites-moi, qu’allons-nous faire de ces jeunes ? (…) Où est le trafic dans ce dossier ? Lors de la perquisition chez monsieur Murphy, 0,33 gramme de cannabis et quatre grammes d’héroïne ont été saisis, les gendarmes n’ont pas retrouvé de balance ou de sachets de conditionnement ! Vous ne pouvez décemment pas le condamner comme un dealer, mais vous pouvez lui permette d’avoir le bâton et la carotte en lui permettant de suivre des soins.»

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