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Les histoires de Sylvie : un sanglier demandeur d’asile

Sylvie Froger aime raconter des histoires qui puisent leurs racines dans le réel comme dans l’imaginaire. Noël, les agapes, un papa chasseur et un sanglier rusé…

Le 25 décembre 1981, 11 h 45. Nous étions, mes petites sœurs et moi, prêtes à partir chez notre tonton Guy, à Mussey-sur-Marne, dans la superbe Mazda orange de maman, pour célébrer Noël avec nos cousins et cousines.

Une grande tablée nous attendait chez tante Monique, cuisinière hors pair.

Mais l’heure du départ arrivait et notre papounet n’était toujours pas rentré de la chasse. La trêve de Noël ?  Non, il ne fallait pas rêver. Ceci était inimaginable !

Rouge aux lèvres, boucles aux oreilles, petites robes, toutes les trois avec maman, étions belles et attendions avec impatience notre grand chef, toujours en vadrouille. Quand soudain Bim ! Bam ! Boum, Pan, Pan ! Montribourg se retrouvait en émoi. Notre petit village niché dans le creux de deux grands coteaux, ressemblait à une immense tranchée. Les habitants étaient dans la rue, les cartouches des fusils tombaient sans relâche, les tirs venaient de la grande route au-dessus du village et résonnaient en écho contre les murs des façades de nos maisons. Nous étions tous aux aguets. Le village devenait une scène de guerre dans un monde étrange immaculé de blanc. La guerre, c’était la guerre, sous la neige qui tombait à gros flocons.

Soudain, une masse sombre s’est profilée au loin à travers les aubépines. Une bête ? Oui. La bête noire était là. Elle était monstrueuse avec des défenses énormes. Je sentais l’inquiétude de ma mère dans ses yeux et dans sa façon de respirer. Je n’aimais pas ce moment où la vie pouvait basculer, non pas celle de l’homme mais celle de l’animal traqué.

« Rentre Sylvie ! Cela n’est pas une scène pour toi ! » Elle connaissait déjà la fin de l’histoire.

Le sanglier dévalait ventre à terre le coteau derrière la maison de Jeannette. La bête fonçait droit avec une détermination immuable. C’est à ce moment-là que j’ai écouté ma mère, car je me rendais compte de la situation et du danger.

Le valeureux sanglier était passé par le verger de nos amis Olivier et Françoise, et se retrouva au sein de notre village. Là, devant notre maison, il marqua un temps d’arrêt.

Prendra-t-il la ruelle pour venir dans notre jardin ? Va-t-il tout détruire sur son passage tel un fléau d’Égypte ? Faire voler les pots et les poubelles ? Repartir avec nos décorations de Noël en couronne sur la tête ?

Je voulais du superbe, du sensationnel, des explosions, de la bagarre, de la part du monstre noir ! Et là ! Le sanglier se retourna et fonça sur les bonshommes de neige. Badaboum ! Patatras, il s’était transformé en un obus. Oui un obus ! Comme des quilles, les trois bonshommes de neige volaient dans les airs. Le sanglier se retrouva avec le bonnet d’un bonhomme sur la tête.

J’étais au spectacle derrière les rideaux de la fenêtre de notre maison.

Il traversa le village, puis fit demi-tour pour poursuivre sa balade mais cette fois-ci par les jardins. Les pots, le poulailler de la tante Odette volèrent dans le ciel ! Les œufs de poules retombèrent en omelette. Il était fort, puissant, invincible, mais avait la peur au ventre, dans un monde ou l’humanité avait pris le dessus sur le règne animal.

Puis, plus rien ! Le silence des champs de bataille avant un nouvel assaut. J’attendais, j’espérais qu’il revienne dans le jardin, que je puisse lui ouvrir la porte de la maison abandonnée, dite “des Hollandais”, pour le cacher, pour le sauver, le libérer ! J’étais son amie, son alliée, sa compatriote de cœur, sa survie ! J’avais mis mon chapeau comme un casque Mais rien de cela n’arriva, il avait disparu ! Tout simplement… Alors bien triste, je me suis résignée à ne plus le voir. Notre père arriva.

« Bon allez hop les filles, c’est parti je me dépêche, nous sommes en retard, il est 13 h passées ! »

A qui la faute ?  Mais à vous les guerriers et surtout à la bête, ma bête, mon sanglier !

C’est avec un petit air malicieux que je lui lançais : « Papoune ? Tu as fait bonne chasse ? Tu as tué le sanglier dévastateur ? » Mon père grommela : « Non, cette maudite bête a été plus rusée que nous, tu t’intéresses à la chasse aujourd’hui ?  Dis donc ma canaille…. Je te connais, toi ! Tu as encore imaginé une histoire à dormir dehors avec ce Soindier ! Je te le déconseille  Sylvie… C’est un bel animal mais il reste dangereux ! »

« Oui papa, je sais … » Et je filai dans ma chambre pour inspecter les environs, par ma fenêtre, qui donnait sur les champs.

Plus tard, nous étions enfin tous dans la Mazda orange, quand, arrivés devant la maison de nos grands-parents, un hurlement retentit dans l’habitacle de la voiture.

« Arrête-toi Monique ! » Ma mère n’étant pas assez rapide, notre père tira le frein à main ! Allez hop toutes les trois à l’arrière, nous avions fait un bond, en avant !

Papa sortit de la voiture comme une bombe. Il prit son couteau de chasse qu’il avait gardé avec lui et se mit à courir dans l’épaisse neige comme celui qui avait vu le père Fouettard.

Nous étions à peine remises de notre brutal arrêt, que lui, devant nous, dans la cour du grand-père André, couteau à la main, bondit sur une masse noire qui sortait de l’ancienne écurie des vaches. La bête ! Le monstre ! Mon exilé !  Mon sanglier ! Il était là, sous papa, lui à cheval sur cette pauvre bête ! D’un seul coup d’un seul papa leva sa main pour faire passer le gros sanglier de la vie à trépas !

Avec fierté il nous regardait. Ma mère était en admiration et nous complètement ailleurs, dans un monde incertain.

 J’ai regardé mon père avec mes yeux remplis de larmes et je lui ai dit…

« Papoune, c’est Noël, s’il te plaît, laisse-le partir, s’il te plaît papa, laisse-le partir, il est blessé ! »

Mes larmes coulaient le long de mes joues, le temps était suspendu et paraissait si long…Et là, le miracle de Noël opéra. Mon père lâcha son grand couteau et fit un bond en arrière pour libérer la bête. Le sanglier tourna sa tête, nous regarda une dernière fois et vers la grande forêt, il fila sans demander son reste.

Les autres chasseurs sont arrivés peu de temps après.

« Alors Gaston, montre-nous ton trophée ! »

« Maudite bête, il s’est échappé. Je n’ai rien pu faire ! »

Puis, il est remonté dans notre voiture, m’a regardé dans le rétroviseur avec ses grands yeux bleus et m’a adressé un petit clin d’œil.

« Allons, c’est Noël ma sauterelle ! Ton arrière-grand-père, à la grande guerre avait bien fait une trêve avec l’ennemi. Les animaux ont bien le droit d’être en paix aujourd’hui ! Bon ! Allons-y ! Sinon nous serons vraiment en retard ! »

La neige est alors tombée encore plus fort, son manteau blanc voulait tout estomper. Effacer les traces de ce champ de bataille et redonner espoir en la vie…

Après un long trajet, Nous sommes enfin arrivés à Mussey chez l’oncle Guy et Noël fut fêté.  Le père Noël était passé. Un beau livre sur les animaux du monde était mon cadeau.

Je suis allée voir mon père et sur sa joue j’ai déposé un énorme baiser.

« Merci mon Papounet. Des papas, tu es le meilleur. »

« Et toi ma sauterelle, une sacrée petite canaille ! »

Après le repas, mes sœurs, cousins, cousines et moi, sommes allés jouer dans le jardin et dans le ciel, un gros nuage sombre s’était formé au-dessus du village. Il était en forme… de sanglier. Je savais que cela était un message de mon ami, pour me remercier.

Ā tous les Noël je repense à cette histoire. J’ai raconté à mon fils Verlêne cette aventure extraordinaire. Aujourd’hui, encore, il reste en admiration de ce papy pas comme les autres.

Drôle de Noël que celui-là !

Sylvie Froger

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