Les beaux mots – L’édito de Christophe Bonnefoy
Les beaux mots plutôt que les gros mots. Ceux qui ont du sens, plutôt que le règne très contestable des émoticônes. Un style défini comme clinique plutôt que lyrique. Mais aussi simple que puissant. Le Prix Nobel attribué à la Française Annie Ernaux vient rappeler que notre pays est le berceau d’une littérature qui transporte. Qui fait référence. Qui tient quasiment de l’orfèvrerie. Et une littérature de combat.
Ce Nobel suggère en outre avec force qu’à l’abandon de la rigueur orthographique, on devrait préférer l’entêtement, légitime, à redonner à notre langue ses lettres de noblesse. Il suffit en effet, tout bêtement, de constater le niveau en français de nos élèves pour espérer qu’enfin, on arrêtera un jour de porter les yeux, par défaut, vers le moins bien. Certes, la langue évolue. Elle s’adapte. Elle s’enrichit de nouvelles pratiques. Mais elle ne doit pas céder à la facilité du langage parlé ou à la paresse. Annie Ernaux, première française à décrocher ce Nobel de littérature, est là pour nous le rappeler. Il n’y a rien de plus beau, en vérité, que de se plonger dans un bon livre.
Mais la prestigieuse récompense couronne, aussi, et c’est évidemment dans l’air du temps, une œuvre qu’on pourra qualifier de sociale et profondément féministe. Tout cela posé sur le papier avec un talent que peu ont : celui de réussir à rendre intemporels les combats sociétaux. De leur offrir cette modernité qui rend les oeuvres universelles. Voire d’être en permanence et naturellement dans l’avant-garde. Ici, #metoo avant l’heure, en quelque sorte. Sa réaction, après l’annonce de son Nobel : elle continuera à témoigner «d’une forme de justesse, de justice, par rapport au monde». Tout est dit. Et tellement bien écrit, déjà…