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1943 : le sabotage de la poudrière de Langres raconté par les témoins

Trois des acteurs du sabotage : René Cailleaud (en haut à gauche), Jean Lepetz (en bas à gauche) et André Besancenot (à droite).

HISTOIRE. Dans la nuit du 11 au 12 septembre 1943, des résistants langrois et un saboteur de la France libre réalisaient l’un des plus retentissants exploits de la Résistance sous l’Occupation : la destruction de la Poudrière de Langres, un dépôt de munitions des Magasins généraux, aux Franchises. Des acteurs et témoins racontent.

Pierre Clavel, Langrois de naissance, Baralbin d’adoption, responsable régional du Bureau des opérations aériennes (BOA) : « En juillet 1943, mon attention avait été attirée sur l’activité intense qui régnait sur les Magasins généraux. Marius Véchambre [avocat, responsable de la Résistance à Langres], mis au courant, s’adressa au capitaine des pompiers, Robert Henry, auquel les Allemands avaient confié la protection des bâtiments militaires. Il y avait procédé, en compagnie d’André Besancenot, son adjoint, Lepetz et d’autres, à des manœuvres et à une étude sur place, d’où la découverte des « marchandises » entreposées. C’était un objectif militaire d’exceptionnelle importance ; Londres en fut averti par [Michel] Pichard, [responsable du BOA], réponse : opération aérienne impossible en raison de la proximité de la ville. C’était sage et sans surprise… » La solution choisie : un sabotage.

Henri Hutinet, résistant originaire de Bannes : « Véchambre me fait part de son intention avec Robert Henry de détruire les Magasins généraux à Langres, ceux-ci contiennent 5 700 tonnes d’explosifs et 20 millions d’explosifs. » Les sapeurs-pompiers André Besancenot, Jean Lepetz et Jean Mercier participeront à l’opération avec un envoyé de la France libre. 

« Gonflés »

Le saboteur s’appelle René Cailleaud. Formé en Angleterre, cet officier est arrivé dans l’Aube le 20 juin 1943 : « J’ai été parachuté 5 km avant le terrain*… Je suis resté trois jours dans les bois, à me camoufler, quand tout à coup j’ai vu une femme… J’ai sorti mon Colt, elle m’a conduite jusqu’à un gars… » Le contact enfin établi, Cailleaud, alias lieutenant Lime ou Robert, se livre rapidement à des sabotages dans l’est de la France. L’opération de Langres sera la plus notable. 

Pierre Clavel : Cailleaud « prend le train le samedi [11 septembre 1943] à midi pour Langres où André Besancenot l’attendait en gare avec un signe de reconnaissance convenu, ne connaissant ni Langres, ni personne. C’est le pompier Jean Mercier qui se charge du transport de ses deux valises de la gare de la crémaillère à la permanence rue Diderot ».

Jean Lepetz, sapeur-pompier : « Ces valises contenaient quatre mitraillettes avec chargeurs, cartouches, du plastic, des crayons à retardement, du cordon détonant, etc. Dans l’après-midi, le capitaine nous demanda si nous étions gonflés… Nous répondons oui… Alors ce sera pour ce soir… »

« Nous nous donnons la main »

Jean Lepetz : « Le soir venu, après 20 h, les charges ont été préparées selon les instructions données par le lieutenant Robert. J’ai été aidé dans cette tâche par Jean Mercier […]  A 22 h 30, nous quittons la permanence rue Diderot, le lieutenant Robert, l’adjudant Besancenot, Mercier et moi-même. Nous traversons Blanchefontaine et nous gagnons la route nationale Langres-Dijon […] Il est minuit. Tous les quatre nous nous donnons la main, nous promettant bien de garder notre secret quoi qu’il arrive […] En aidant le lieutenant Robert et l’adjudant Besancenot à franchir le mur, Mercier et moi nous leur passons les musettes. Muni de mon coupe-boulons, Besancenot coupe le cadenas de la première poudrière et y dépose deux charges […] Les quatorze charges préparées devaient provoquer sept explosions, pour une raison inconnue, il n’y aura que cinq mais la troisième et la cinquième furent les plus fortes […] Notre grande joie est d’apprendre par la suite que les seules victimes sont des Allemands et que nous venons de détruire 5 600 tonnes d’explosifs et 20 millions de cartouches à l’ennemi. »

Commissaire de police Meriaux : « De nombreux bâtiments […] ont été entièrement pulvérisés […] » Dans la population civile, « une vingtaine de blessés plus ou moins graves sont signalés. Pour les troupes d’occupation, cinq morts et deux blessés ».

Capitaine de gendarmerie Pierre Stanguennec : « La ville de Langres a beaucoup souffert ». L’officier mentionne par exemple d’importants dégâts à l’hôpital et deux fermes détruites. Un document fait état de 850 toitures endommagées et 56 000 vitres brisées**.

A la suite du sabotage, salué immédiatement par la BBC, 18 employés français du dépôt sont arrêtés, mais rapidement libérés, un couvre-feu est instauré jusqu’à 21 h par l’oberst (colonel) Karl Luyken jusqu’au 21 septembre 1943. Jamais les auteurs du sabotage ne seront identifiés par les enquêteurs, même si deux des héros de l’opération, Marius Véchambre et André Besancenot, arrêtés pour d’autres motifs, sont morts en déportation.

L. F.

* Témoignage recueilli par Jean-Christophe Notin. 

** 34 prisonniers vietnamiens du chantier de Bussières-lès-Belmont sont réquisitionnés pour prêter main forte aux agriculteurs touchés. 

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