L’autre incendie – L’édito de Patrice Chabanet
Le brasier de Notre-Dame de Paris était à peine éteint qu’un autre feu prenait le relais. Son origine a été vite détectée : la polémique à la française. L’avalanche de dons massifs destinés à la restauration de la cathédrale a d’abord surpris, dans le bon sens, avant d’étonner, dans un sens différent. Tant d’argent déversé en quelques heures par les plus grandes fortunes du pays, n’était-ce pas le signe d’une pure déraison ? N’y avait-il pas en France d’autres incendies à éteindre, au moins tout aussi urgents que celui qui a emporté une partie de Notre-Dame ? Poser la question ainsi, c’est établir de fausses comparaisons et hiérarchiser des priorités qui n’appartiennent pas au même registre. D’une certaine manière, on retrouve la même fausse opposition entre le combat pour le 15 du mois et celui pour sauver la planète. Les deux méritent le respect et ont leur propre logique.
La défense du patrimoine s’inscrit dans la durée. La préservation du pouvoir d’achat se confond avec le présent. Dès lors que c’est un monument emblématique d’une religion, d’un pays et de toute une histoire qui est atteint, l’exceptionnel s’installe dans notre quotidien, le phagocyte. D’où l’élan de tout un peuple pour faire revivre l’un de ses plus grands symboles. Que les plus riches ouvrent les vannes de leur fortune pour sauver ce bien finalement collectif, quoi de vraiment choquant ? Un argent bien utilisé, diront les fatalistes. Un argent que l’Etat n’aurait pas pu mobiliser aussi vite, doit-on constater froidement. Certes, les deux tiers des dons seront restitués par le biais des réductions fiscales, mais l’argent utilisé dans la restauration de l’édifice va générer de la TVA et des salaires. Les dons des plus fortunés sont donc à prendre de façon très pragmatique : ils lèvent l’hypothèque financière sur des travaux qui s’annoncent amples. Cela dit, la contribution des plus humbles a rigoureusement la même valeur morale, même si elle garde le privilège d’être plus discrète.