L’abbaye de Beaulieu vers une renaissance
Située au lieu-dit de Beaulieu, près de Hortes (sud-est haut-marnais), l’abbaye cistercienne de Beaulieu, laissée à l’abandon, est en attente depuis longtemps d’une possible renaissance. Celle-ci pourrait enfin voir le jour grâce à un jeune passionné : Romain Berthomé.
Il trône, tout sourire, au milieu d’un immense capharnaüm. « Et encore. J’ai déjà fait beaucoup de rangement et de nettoyage… », glisse-t-il d’un air malicieux, slalomant entre les vieux journaux, les murs tagués et les meubles défoncés. L’on a presque peine à y croire, mais c’est bien au cœur du logis abbatial, principal reste de ce qui fut jadis un grand complexe cistercien fondé en 1166, que le jeune Romain Berthomé s’affaire, œuvrant régulièrement depuis maintenant deux ans. Laissée à l’abandon depuis des années, l’abbaye de Beaulieu (à Hortes, dans le sud-est haut-marnais) n’est, depuis longtemps, plus qu’un vestige délabré. Qui a d’ailleurs fait, ces dernières années, la joie des amateurs “d’urbex” (explorateurs de lieux abandonnés), qui ont malheureusement commis quelques dégradations supplémentaires. Certaines vidéos abondamment vues, notamment postées sur la plateforme Youtube, en témoignent.
Pour Romain Berthomé, c’est un véritable coup de foudre, doublé d’un caprice du destin, qui est à l’origine de sa présence à Beaulieu. En 2020, ce jeune Alsacien, restaurateur d’art et doreur à la feuille, passe par hasard au lieu-dit de Beaulieu. Et tombe sur l’abbaye dont, en passionné d’anciens châteaux et sites médiévaux, il tombe instantanément sous le charme. S’ensuit une quête de plusieurs mois pour contacter son propriétaire. Il découvre que l’abbaye était occupée, dans les années 1990 et 2000, par un couple d’Américains, lui diplomate et elle écrivaine.
Prise de contact
Eliane Kirchwehm était d’ailleurs bien connue des riverains. A l’époque, elle organise des journées thématiques dans l’abbaye, et monte une petite chèvrerie dans le domaine attenant. Agée aujourd’hui de 88 ans, elle en demeure la propriétaire, même si elle n’y a plus mis les pieds depuis des années. Tous les objets qui s’y trouvent encore lui appartiennent.
A force de persévérance, Romain Berthomé finit par prendre contact : « Grâce au réseau Linkedin, j’ai pu discuter avec Minouche, la fille d’Eliane ». Il leur fait alors une proposition un peu folle : celle de s’occuper bénévolement du site, du moins de le remettre en ordre minimal et de tenter de le préserver des pilleurs et autres amateurs d’urbex, au rythme d’un jour par semaine. Et en échange d’un simple défraiement. « Au départ, Eliane et Minouche étaient surprises. Un peu méfiantes et réticentes. Et, progressivement, nous avons établi une relation de confiance ».
Romain Berthomé s’est mis à l’ouvrage. Il a commencé par le plus visible : déblaiement, dégager les entrées, nettoyer l’intérieur, stocker les objets personnels dans une pièce dédiée, etc. Mais il s’agit, à ses yeux, des véritables prémices d’une opération à très long cours. « Notre ambition, à Eliane, Minouche et moi-même, est de mener une restauration, par étapes ». De premiers travaux pourraient commencer dès cette année 2022. A terme — « mais il faudra sûrement compter en années » —, le but affiché est d’y mener des activités touristiques et culturelles, « pourquoi pas quelque chose autour de la vannerie », par exemple.
Un chantier titanesque en perspective
Il reste que le chantier s’annonce titanesque. Rien que pour la petite chappelle néogothique, datant du XIXe siècle, la restauration complète serait de l’ordre de plusieurs centaines de milliers d’euros. « J’ai déjà fait élaborer quelques devis : rien que pour un vitrail, c’est 30 000 euros ». Concernant le palais abbatial, la réhabilitation de la seule toiture coûterait aux alentours de 400 000 euros. Pour le tout, Romain Berthomé estime qu’il faudrait facilement compter sur deux millions d’euros.
Le défi, cependant, ne l’impressionne pas. Ce n’est pas le genre de la maison. Procédant étape par étape, il est en train de monter une association, sur le modèle de celle des Amis de l’abbaye de Morimond. Il a également pris contact avec la Fondation du patrimoine. Il en a conscience : la restauration totale s’annonce lourde et délicate. Au moins l’abbaye de Beaulieu n’est-elle plus laissée à son triste sort. C’est déjà un début.
Nicolas Corté
Un lieu chargé d’Histoire…
C’est en 1166 que l’abbaye cistercienne de Beaulieu a vu le jour, en tant que “fille” de celle, bien connue, de Clairvaux. A l’époque, c’est l’abbaye de Morimond, “fille” de Cîteaux, qui rayonne depuis quelques décennies sur le territoire. Dans un contexte de rivalité entre Cîteaux et Clairvaux, cette dernière se devait de réagir. Au fil des années, le site se développe considérablement : palais abbatial, église, bibliothèque, dépendances, exploitations agricoles… L’abbaye est florissante. Mais un premier coup d’arrêt survient en 1568, avec l’invasion des reîtres (des cavaliers allemands). En 1711, un nouveau pillage allemand la met en grande difficulté, avant un renouveau en 1731. La constitution civile du clergé, en 1791, met un terme définitif à l’aventure. Le site est acheté par Caroillon de Vandeul, le gendre de Denis Diderot, puis les propriétaires se sont succédé, avec plus ou moins de bonheur, jusqu’à aujourd’hui.
… et de légendes
Deux grandes légendes circulent, depuis des siècles, autour de l’abbaye de Beaulieu. Selon plusieurs sources locales, rien de moins que Jeanne-d’Arc y aurait, au XVe siècle, passée une nuit durant son périple visant à rallier le Roi Charles VII. « Même si l’on n’a pas la date exacte, c’est quelque chose qui semble attesté », se réjouit Romain Berthomé, bien décidé à mettre en exergue cette “légende” qui participe à la renommée du site. Beaucoup moins certaine est, en revanche, l’histoire qui s’est transmise au fil des siècles selon laquelle le légendaire trésor des Templiers serait enterré quelque part dans le grand domaine attenant au palais abbatial. Elle trouve sa base dans le fait que Jacques de Molay, le dernier Grand maître des Templiers, résidait non loin (dans l’actuelle Haute-Saône) et serait venu à plusieurs reprises à Beaulieu. L’un des propriétaires passés a creusé de nombreuses tranchées dans l’espoir de retrouver ce mythique trésor. En vain…