« « La tuerie de Chauffourt », on ne disait que ça »
C’est un mercredi du mois d’août 1986, le 12, que Chauffourt est saisi d’effroi. Un de ses habitants abat quatre personnes, avant de prendre la fuite. Un fait-divers hors du commun en Haute-Marne, qu’on appellera « La tuerie de Chauffourt ».
« On apprend que quatre meurtres ont été commis à Chauffourt… ». Parole de journaliste, « en Haute-Marne, c’est inouï ». Celui-ci enfourche sa petite moto Honda, cap sur le village. Son maire est précisément un collègue du localier, un « correspondant local ». Sur place, la cité est loin de refléter l’image paisible qu’on lui connaît. « Elle était en état de siège, pleine de gendarmes… ». C’est qu’un homme vient de semer la mort. À quatre reprises, il a tiré au fusil de chasse, s’en prenant d’abord aux proches d’un exploitant agricole, qui vit un peu à l’écart du bourg, et avec lequel il aurait eu un contentieux, puis sur l’éleveur lui-même. Avant de regagner le cœur de Chauffourt, où il fait feu sur son oncle. Il a hélas, à chaque fois, tué. Des témoins de chaque scène ont échappé de peu à sa fureur.
Exploration du fort de Dampierre
Le meurtrier s’enfuit, en voiture. Il a son arme avec lui. Depuis qu’il a commis ce carnage, il s’est volatilisé. L’individu est connu, d’aucuns savent même quelles sont ses habitudes. « Il est caché au fort de Dampierre, qu’il connaît comme sa poche », jure-t-on. Dans l’après-midi de ce jour funeste, le véhicule du fuyard est retrouvé à proximité dudit fort. Les gendarmes sont déployés, intégrant des unités spécialisées pour entreprendre de le fouiller de fond en comble. C’est un lieu bigrement étendu, avec de multiples galeries, 120 militaires sont mobilisés. Dans la nuit du samedi, leurs équipes entrent dans le fort, qu’ils sondent sans relâche. Sans trouver le fugitif. Ils continueront de l’y traquer. Au village, on procède aux obsèques des victimes le 16 août. Le lendemain dimanche, un habitant signale qu’il a vu le tireur escalader un hangar agricole. Les gendarmes encerclent le bâtiment.
« On croyait le tireur était à l’affût de la moindre proie »
Le journaliste travaille en binôme avec un collègue. « Tous deux, on est là-bas », à la recherche d’informations. Quand soudain, « il y a une alerte générale ». Il se murmure que le tireur « a été vu dans le village ». Ce cri d’alerte sensé avoir été lancé à l’adresse de tous est né d’une rumeur. Les autorités inviteraient la population à se calfeutrer chez elle « jusqu’à nouvel ordre ». Le temps est suspendu. Le binôme de localiers cherche où se réfugier. Des habitants ouvrent leur porte au duo. Cerise sur le gâteau, le foyer a le téléphone, le binôme, qui travaille aussi en radio va pouvoir accomplir sa mission, sans échapper pour autant à la terreur qui saisit Chauffourt. « A priori, pour nous, le tireur était à l’affût de la moindre proie ». Journalistes ou pas, l’ambiance est loin d’être à la rigolade. « On regardait furtivement par la fenêtre, pas rassurés… ». Jusqu’à ce que les autorités libèrent la population. « On nous a dit de sortir ».
Fragilités
Les gendarmes ont fait mine d’abandonner le siège du hangar où l’homme avait été vu. En réalité, six militaires sont restés sur place. Abaissant sa vigilance, le tireur descend du repaire où il est perché sur des bottes de paille, y oubliant son fusil. Il est aisément interpellé, et il n’oppose pas de résistance. Ici, on le sait dépressif. Ayant déjà menacé avec son fusil des interlocuteurs qu’il croyait des ennemis. Pour, soi-disant partir travailler en Suisse, ce célibataire de 41 ans avait décidé, quelques jours avant de commettre ce carnage, de se séparer définitivement de ses chiens, en les faisant piquer.
« L’expression pour en parler, c’était « la tuerie de Chauffourt » », raconte un des localiers. Qui s’était retrouvé à utiliser le « direct » pour tenir la Haute-Marne informée… et bien au-delà, au regard du retentissement de ce faits-divers hors norme.
Après avoir été conduit à la gendarmerie de Langres, le tireur a été interné en psychiatrie.
Fabienne Ausserre
f.ausserre@jhm.fr